dimanche 26 décembre 2021

La véritable histoire de Noël - Marko Leino

En résumé.

Alors qu'ils plongent dans les eaux fraîches de la mer Baltique pour s'amuser, deux jeunes garçons tombent sur un coffret en bois renfermant une montre à gousset. Un trésor qui renferme une fantastique histoire transmise de génération en génération. Leur grand-père décide de la leur raconter.

Au large de la Finlande, sur une île éloignée de toute forme de vie, une famille habite une cabane battue par le vent et par les bourrasques de neige. Pourtant, malgré la précarité de leur mode de vie, Nicolas est heureux en compagnie de ses parents et de sa petite sœur, Aada. Par une nuit d'hiver, alors qu'il n'a que cinq ans, son père et sa mère sont contraints de le laisser seul pour accompagner leur fille malade sur le continent pour qu'elle puisse y recevoir des soins. Leur absence, qui ne devait durer que quelques heures, durera toute une vie puisqu'ils trouvent la mort sur leur barque, emportés par la mer déchaînée. Le petit garçon est alors rapatrié dans le village le plus proche, sur la côte. Aucun villageois n'est en mesure de l'adopter car tous sont très pauvres. Ils vont donc prendre une décision inédite : Nicolas passera un an dans chaque famille du village, et le changement s'opèrera tous les ans, le jour de Noël. D'abord déstabilisé par les événements, Nicolas finit par trouver ses marques et par s'attacher aux habitants du village. Pour les remercier, il prend l'habitude de leur fabriquer quelques jours avant Noël des jouets en bois. Son talent ne cessera de grandir pour devenir petit à petit l'homme célébré et connu de tous en cette période de fête, le Père Noël.

Mon avis.

J'ai eu plusieurs fois l'occasion de croiser ce livre sur Internet à l'approche des fêtes mais je me suis finalement décidée à le lire cette année, alors que le pays à l'honneur pour le mois de Novembre était la Finlande (challenge en 2021, je voyage.). Quoi de mieux qu'un conte jeunesse pour se mettre tout doucement dans l'ambiance de Noël !

Bien que le début soit un peu triste, voilà un roman tout doux à savourer sous la couette, avec une tasse de chocolat chaud et un chat roulé en boule à ses pieds. Certes, c'est un conte jeunesse mais il est très bien adapté pour les adultes en quête de la magie de Noël. On y retrouve une version de l'histoire du Père Noël, joliment narrée et toute en simplicité. C'est aussi l'occasion de voyager au cœur de la Laponie et de s'imaginer ce petit village perdu au milieu de la forêt et bordé par la mer, fait de maisons très modestes mais illuminées par les levers de soleil, la neige s'étalant en couches épaisses, terrain de jeu préféré des jeunes enfants. L'auteur ne laisse rien au hasard et explique dans les moindres détails la légende du Père Noël, le tout faisant preuve d'une certaine cohérence. Les habits rouges du Père Noël ? C'est parce que les rennes obéissent mieux lorsque leur maître porte du rouge. Néanmoins, point de lutins ni de mère Noël dans cette version, on reste juste sur l'histoire d'un petit garçon blessé par la vie mais dont la générosité est telle qu'elle devient sa raison d'être.

J'avais un peur de me lancer dans une histoire dégoulinante de guimauve et de caramel, comme c'est souvent le cas pour les histoires de Noël. Certes, il y a du bon sentiment mais le tout s'équilibre plutôt harmonieusement. Nicolas apparaît comme un personnage avec des reliefs, capable de donner le meilleur mais aussi capable de blesser autrui, une personne humaine en somme. J'ai été sensible à son plus grand travers : ne vouloir s'attacher à personne de peur que les personnes aimées s'en aillent et laissent derrière elles une blessure trop douloureuse. Les questions du deuil, de la reconstruction après la perte d'un être cher sont importantes dans le récit et ont façonné la personnalité de Nicolas. C'est une histoire qui s'intéresse à la vie d'un homme, de sa plus tendre enfance à sa mort. Le défi était colossal mais l'auteur s'en est bien sorti. Il a réussi à rythmer son récit, à ralentir lorsque c'était nécessaire et à accélérer lorsqu'il en avait besoin, de sorte que l'on ne s'ennuie jamais, nous donnant même l'impression de parcourir cette histoire à vitesse grand V.

Un roman idéal pour la période des fêtes de fin d'année. Avec son livre, Marko LEINO propose une alternative aux comédies romantiques et autres histoires qui exploitent à fond le thème de Noël pour faire du chiffre. Comme un enfant attendant avec impatience les cadeaux au pied du sapin, on replonge dans la féérie de la légende du Père Noël grâce à un récit rythmé, réfléchi et représentatif de l'ambiance des pays nordiques.
Dernières infos.

La véritable histoire de Noël a été publié en 2014 et compte 328 pages. 

Ma note.
Challenges.

100 livres à lire en 2021 : 44/100
* Défi lecture 2021 : Consigne 17 - Un livre dont le nom et le prénom de l'auteur contient le même nombre de lettres - 44/100
En 2021... Je voyage : Finlande (+ 20 points)

jeudi 23 décembre 2021

Bleu de Delft - Simone van der Vlugt

En résumé.

Bleu de Delft
 nous embarque dans la Hollande du XVIIème siècle. On y suit les aventures de Catrijn, une jeune paysanne en deuil suite au mystérieux décès de son époux. Libérée de cet homme qui la battait et attirée depuis toujours par les opportunités qu'offre la ville, elle décide de vendre les terres dont elle était devenue propriétaire pour rejoindre Amsterdam. Là elle est embauchée comme intendante dans une riche famille. Alors qu'elle prend progressivement ses marques et qu'elle commence par se faire remarquer pour ses talents de peintre, elle est rattrapée par son passé, menacée par son ancien valet de ferme qui compte révéler les véritables circonstances de la mort de son mari si elle n'achète pas son silence. Elle décide alors de fuir pour échapper à cet homme incontrôlable et se retrouve à Delft chez un parent de la famille qui l'avait engagée à Amsterdam. Son nouvel hôte est propriétaire d'une faïencerie. Catrijn va vite y trouver ses marques, une fois de plus louée pour ses compétences en peinture, qu'elle utilise pour décorer les poteries fabriquées dans l'atelier de son patron. Néanmoins, malgré ce bonheur professionnel, Catrijn sera une nouvelle fois rattrapée par son passé mais aussi vivement secouée par deux événements majeurs de cette époque : l'explosion de la poudrière de Delft qui ravage la ville et un épisode de peste particulièrement virulent.

Mon avis.

Comme pour beaucoup d'autres lecteurs j'imagine, j'ai été attirée par ce roman parce qu'il m'a fait penser à une lecture qui se déroule dans un contexte similaire, La jeune fille à la perle de Tracy CHEVALIER dans lequel on entre dans l'intimité du célèbre peintre VERMEER. La Hollande du XVIIème siècle, l'essor du bleu de Delft (pour désigner ces poteries peintes en bleu et blanc) et l'âge d'or de la peinture hollandaise avec l'ascension de grands peintres comme REMBRANDT et VERMEER sont des thèmes communs aux deux romans. Pourtant ils se distinguent nettement de part leur contenu. Bleu de Delft se déroule avant La jeune fille à la perle. Dans le premier, VERMEER n'est pas encore le grand peintre qu'il va devenir, il travaille encore dans l'auberge familiale. Par ailleurs, Bleu de Delft semble encore plus romancé et nous offre un large aperçu des villes à cette époque et nous fait voyager jusqu'aux origines de la céramique.

Car ce roman est avant tout un voyage, dans le temps et dans l'espace. On se laisse facilement imprégner par des images, des odeurs, des bruits qui nous donnent l'impression de perdre pied avec la réalité pour nous retrouver dans cet univers particulier, dans ce moment où tout bascule pour la région. Quand je repense à ma lecture, me viennent à l'esprit des paysages, des canaux bordés d'une végétation marécageuse sur lesquels navigue Catrijn, la tête remplie d'espoir, me vient l'architecture des villes, les maisons en bois, les marchés colorés, se gorgeant peu à peu d'épices suite aux grandes expéditions, les piaillements des marchants et des clients, la chaleur des fours de la faïencerie, la lumière vive causée par les flemmes, les gestes précis des peintres qui créent de nouveaux motifs qui feront la renommée de la ville de Delft, mais aussi la peur causée par l'épidémie de peste, la suspicion, les commérages, la moindre odeur qui devient douteuse. Bien que très peu douée pour l'Histoire, c'est ce que j'apprécie dans les romans historiques, ces impressions qui nous submergent, et ce passé que la plume d'un écrivain parvient à faire revivre. Là est pour moi la grande force de ce roman.

L'histoire de Catrijn est également passionnante à lire. En un peu plus de 300 pages, l'auteur parvient à nous faire le récit de la vie de cette femme qui à dû s'imposer dans un milieu essentiellement réservé aux hommes. Catrijn en vit des choses, d'abord avec les hommes qui ne cessent de la tourmenter, pour le meilleur comme pour le pire puis elle se débat avec des événements contre lesquels elle ne peut lutter. Une fois le bonheur retrouvé, il semble à chaque fois lui filer entre les doigts, comme si le destin ne pouvait jamais la laisser en paix. Autant dire que le roman est rythmé, les rebondissements s'enchaînent les uns après les autres, à peine se réjouit-on d'une bonne nouvelle pour elle que son quotidien est de nouveau contrarié. Ce qui est un point fort peut aussi devenir à certains moments un point faible dans la mesure où Simone van der VLUGT en fait parfois un peu trop. On sent bien que le parcours de Catrijn est vraiment romancé. Je pense qu'à l'époque il n'était pas si évident pour une femme de se faire aussi rapidement une place dans le milieu de la peinture. L'exode de la ville vers la campagne devait également étre plus compliqué que ça, à cause du coût mais aussi du manque de praticité des transports. Catrijn, bien que harcelée par son ancien valet de ferme, apparaît comme une jeune femme avec beaucoup de charme et obtient toujours très rapidement les faveurs de chaque personne qu'elle croise, et en particulier d'hommes volages qui sont prêts à tout quitter pour rester à ses côtés. C'est un peu exagéré, mais bon, c'est appréciable de lire de temps en temps le parcours d'héroïnes qui font rêver, sans pour autant que ça tombe dans un côté niais.

En somme, un roman historique qui fait le job pour ceux dont l'Histoire n'est pas la passion première. J'imagine que pour les experts en la matière, ce roman doit être trop romancé pour être véritablement apprécié. Pour ma part, j'ai aimé suivre les aventures de Catrijn, séduite par le contexte et par les informations historiques que j'ai glanées au fil de ma lecture. Je le recommande à tous les amateurs du genre.
Dernières infos.

Bleu de Delft a été publié en 2018 et compte 329 pages.

Ma note.
Challenges. 

 100 livres à lire en 2021 : 43/100
* Défi lecture 2021 : Consigne 59 - Un livre avec un virus/une épidémie/un confinement - 43/100
En 2021... Je voyage : Pays-Bas (+ 20 points)

dimanche 5 décembre 2021

Swing Time - Zadie Smith

En résumé.
 
Au début des années 80, dans un quartier populaire de Londres, deux petites filles se rencontrent lors d'un cours de danse. L'une s'appelle Tracey, vive comme l'éclair, le rythme dans la peau, douée pour les pirouettes et les entrechats, née d'une mère peu éduquée et d'un père qui est désormais en prison. L'autre est la narratrice, petite fille modèle, encouragée par les ambitions de sa mère jamaïcaine qui remue ciel et terre pour faire partie de l'élite culturelle et d'un père blanc plutôt mou, sans personnalité mais très présent pour sa fille. Les deux jeunes filles vont grandir ensemble, la narratrice étant attirée par l'intrépide Tracey. Pourtant, une fois devenues adolescentes, leurs chemins s'éloignent, l'exubérance de Tracey finit par faire fuir son amie. Alors que l'une rejoint une école de danse, l'autre se lance dans des études de communication. De fil en aiguille, la narratrice devient l'une des assistances d'une célèbre pop star, Aimee. Pendant plusieurs années, elle s'engagera corps et âme pour satisfaire les moindres caprices de cette chanteuse capricieuse, y compris celui de financer la construction d'une école en Afrique, projet philanthropique, tirant vers le marketing plutôt que vers l'humanitaire. En marge de cette vie passée aux quatre coins du monde, la narratrice finira par recroiser de temps en temps la route de Tracey, dont le destin n'est pas aussi glorieux qu'annoncé.

Mon avis.

Je vous présente aujourd'hui un roman dont je n'avais jamais entendu parler, sélectionné par mon amoureux alors que je lui avais demandé de me choisir un roman d'un auteur britannique dans les rayons de sa médiathèque. Expérience à refaire puisque ça m'a permise de découvrir un nouvel univers, même si le roman ne fut pas à la hauteur du résumé qui était pourtant prometteur.

J'ai pu voir qu'un certain nombre de blogueurs, blogueuses avaient comparé ce roman à L'amie prodigieuse d'Elena FERRANTE. Le début peut en effet peut nous faire penser à cette autre histoire d'amitié célèbre dans l'univers de la littérature. Tracey et la narratrice sont tout aussi différentes que Lila et Lenu le sont l'une vis-à-vis de l'autre. L'exubérance et la témérité de l'une tranche avec la réserve et l'observation de l'autre. Cependant, passées les descriptions initiales, la ressemblance entre les deux romans s'amenuise. Si L'amie prodigieuse continue d'explorer la relation entre les deux jeunes filles une fois l'enfance passée, Swing Time suit davantage le destin de la narratrice, laissant peu à peu de côté Tracey, tout en y revenant ponctuellement au fil des pages. Beaucoup de lecteurs ont également mis en avant les problématiques soulevées par ce roman : le milieu socioéconomique des deux amies, leur métissage, la place qu'elle doivent se tailler en tant que femme, les travers de l'engagement humanitaire, les inégalités à tout niveau et la quête du bonheur. Pour ma part, j'ai moins été sensible à toutes ces thématiques. Je ne les trouve d'ailleurs pas significatives à la lecture du roman, elles ne sont, à mon humble avis, évoquées que de façon superficielle. Je pense davantage que ce roman exclusivement féminin n'est en réalité que le portrait de plusieurs femmes issues d'univers complètement différents, explorant le pouvoir de la volonté et comment celle-ci peut façonner un destin. Il y a évidemment Tracey, jeune fille si volontaire qu'elle en vient à s'inventer une vie tout en tenant les autres responsables de sa propre déchéance, Aimee, star aveuglée par le consumérisme et la bienpensance, la mère de la narratrice, perpétuellement animée de combats qui la dépassent, Hawa, jeune femme africaine au destin déjà tout tracé et pour finir la narratrice, jeune femme qui a finalement peu de personnalité, observant le destin de toutes ces autres femmes sans pour autant s'en inspirer. La preuve est qu'il n'est à aucun moment donné son prénom, comme si elle était une observatrice désincarnée.

Si j'ai beaucoup apprécié les 150 premières pages au cours desquelles on voit naître l'amitié entre Tracey et la narratrice, j'ai beaucoup moins été emballée par la suite. A partir du moment où Aimee entre en scène, j'ai un peu sombré dans l'ennui. D'ailleurs, il nous est promis un roman d'amitié entre Tracey et la narratrice, mais au final il est davantage question d'Aimee qui occupe la plupart du roman. La danse est un autre thème qui est présenté comme un fil rouge dans le titre ou la quatrième de couverture, alors que c'est un sujet qui est finalement peu exploité. Même si je me suis motivée pour finir le livre, j'ai complètement décroché lors des chapitres sur le projet humanitaire en Afrique. J'ai trouvé ça long, truffé de digressions inutiles, les personnages masculins introduits sont étranges, à tel point que je me suis senti mal à l'aise et c'est l'impression qui prédomine lorsque je repense à ma lecture. Le dénouement est à la fois surprenant et évident, comme s'il ne pouvait en être autrement. Il vient un peu rattraper la déception que j'ai eu à la lecture des trois quarts du livre, même si ça ne suffit pas pour me détourner de la sensation d'ennui qui me vient aussi à l'esprit à l'évocation de ce roman. La construction du récit qui se veut une alternance entre divers passages de la vie de la narratrice ne parvient pas à rythmer l'ensemble. Il parvient au mieux à créer un peu de suspense, notamment parce que l'on est curieux de voir pourquoi les relations entre la narratrice et Tracey, puis Aimee vont finir par se déliter.

Même si roman est intéressant à plusieurs égards, je ne le conseillerais pas nécessairement. Il y a suffisamment de lectures excellentes sur les étals des librairies ou des médiathèques pour perdre son temps avec des lectures un peu en-deça de ce que l'on attend d'un bon roman. 
Dernières infos.

Swing Time a été publié en 2016 et compte 480 pages.

Ma note.
Challenges.
 
 100 livres à lire en 2021 : 42/100
* Défi lecture 2021 : Consigne 52 - Un livre comprenant une scène d'anniversaire - 42/100
En 2021... Je voyage : Angleterre (+ 10 points)

jeudi 28 octobre 2021

Moi, Malala - Malala YOUSAFZAI

En résumé.
 
Née dans la touristique vallée du Swat, au nord du Pakistan, Malala YOUSAFZAI est une jeune fille heureuse, amoureusement entourée de ses parents et de ses deux frères. Elle aime se rendre sur les bancs de l'école dirigée par son père, et est souvent classée parmi les meilleurs élèves. Son quotidien bascule lorsque les Talibans, des fanatiques religieux qui prônent une application stricte de la Charia, envahissent progressivement les régions limitrophes de l'Afghanistan, puis le district du Swat. Petit à petit, les femmes sont privés de leurs droits, dont le plus important aux yeux de Malala, celui de recevoir une éducation. Bien que musulmane accomplie, la jeune fille, ayant récupéré de son père la fougue militante, s'érige contre ce nouveau système et contre l'aveuglement extrémiste des Talibans. Son engagement attire les média nationaux puis internationaux et elle devient rapidement un symbole du combat pour l'accès à l'éducation partout dans le monde. En 2012, alors qu'elle n'est âgée que de 15 ans et qu'elle rentre de l'école en bus, un Taliban lui tire dessus. De part sa notoriété, elle accèdera à des soins de qualité, au Pakistan d'abord puis en Angleterre. Cependant, elle ne pourra plus remettre les pieds dans son pays natal auquel elle est pourtant si attachée.

Mon avis.

Cela fait un moment que je connais le visage de Malala, jeune fille rendue célèbre par l'obtention du Prix Nobel en 2014. Souvent attirée par la lecture de son autobiographie, j'ai finalement sauté le pas en ce mois d'Octobre, alors que j'avais envie d'un livre qui change un peu de l'ordinaire et qui soit plus du côté de la réalité que de la fiction. Un téléchargement plus tard, Moi, Malala avait rejoint ma Kindle, n’embarquant dans un voyage périlleux au cœur de la majestueuse vallée du Swat.

Comme toujours, il est difficile de chroniquer une autobiographie. Je ne donnerai évidemment pas mon avis sur le contenu qui appartient strictement à l'auteur, mais je me concentrerai davantage sur la forme. La première partie est essentiellement consacré à l'histoire de Malala, à ses origines, autant familiales que territoriales. Elle revient, assez largement, sur l'histoire géopolitique du Pakistan, cette région du monde ayant d'abord été bouddhiste avant d'être musulmane, gérée par des seigneurs locaux puis intégrée à l'Inde avant d'être déclarée indépendante en 1947. Elle revient également sur les principaux chefs politiques qui ont gouverné ce territoire oscillant entre coups d'état, dictature et démocratie. Le Swat, c'est aussi l'histoire de ses ancêtres, de ses arrière-grands-parents à ses parents, l'évolution d'un territoire touristique, aux paysages dignes des jardins d'Eden qui se sont progressivement transformés en terrain de guerre. Cette première partie est certes un peu rébarbative mais indispensable pour comprendre ce qu'est le Pakistan. J'ai dû m'y prendre à deux fois pour véritablement m'imprégner de ce passé aussi riche que tumultueux, ayant envie de mémoriser chaque détail pour devenir incollable sur ce pays tristement connu pour les faits de guerre mais méconnu quand il s'agit d'évoquer ses joyeux naturels. La deuxième partie est plus accessible car on rentre dans le vif du sujet, la vie de Malala à Mingora, ville en plein essor, un essor rapidement contrarié par l'arrivée des Talibans. On suit son quotidien rythmé par les journées d'école et les examens à préparer. Son père est une figure importante pour elle puisque c'est lui qui lui a transmis le goût d'étudier et la volonté de s'ériger contre toute forme d’extrémisme qui viendrait saper les libertés les plus élémentaires.

Ce qui m'a le plus frappé est le parallèle entre l'évolution de la vie de Malala, qui s'obscurcit au fur et à mesure que les Talibans gagnent du terrain, et l'évolution du paysage, qui se meurt petit à petit. Ce coin du monde, autrefois ouvert sur l'ailleurs, se renferme progressivement sur lui-même et n'est plus qu'animé par une volonté de vengeance, attisée par les Talibans. On voit à quel point l’extrémisme peut s'insinuer, sans crier gare, et bouleverser la vie de millions de personnes. Ce livre m'a donné une autre vision du Pakistan. Principalement connu pour être un théâtre de guerre, je me suis naïvement rendue compte que ce pays n'était pas que ça et qu'il avait eu un autre passé, bien plus glorieux. L'écriture de Malala est empreinte d'une douceur émouvante, on sent la nostalgie poindre au bout de sa plume. Il y a certes les titres honorifiques, le combat pour l'éducation, mais il y a aussi la jeune fille qui a vécu un drame, comme tant d'autres écoliers ailleurs dans le monde malheureusement, la jeune fille qui a été obligée de se séparer de ses affaires de classe et de sa maison, la jeune fille qui a été contrainte de quitter brutalement ses amies et les concours d'école. Cela donne un visage à cette partie reculée du monde, dont on entend peu parler, si ce n'est pour énumérer les attentats, ou l'implication de telle ou telle force occidentale dans la chasse aux Talibans. Malgré la cruauté de ce qu'elle raconte, Malala offre une vision positive et combative du peuple pakistanais.

Voilà un parcours de vie inspirant et enrichissant qui a le mérite de toujours nous faire garder à l'esprit combien nous sommes chanceux dans nos pays occidentaux de ne plus avoir à se battre pour bénéficier d'une éducation. C'est aussi garder à l'esprit la détresse vécue par d'autres, parfois contraints de fuir leur pays pour des raisons vitales alors qu'ils auraient aimer y rester. Je vous encourage de partir à la découverte de cette personnalité brillante, emblème du combat pour le droit à l'éducation.
Dernières infos.

Moi, Malala a été publié en 2013 et compte 390 pages. Pour avoir un aperçu rapide de la vie de Malala, rendez vous ici, rapide épisode d'1 jour 1 question. Enfantin mais toujours très efficace. Je vous renvoie également vers cet épisode du Dessous des cartes qui revient sur l'histoire du Pakistan. Il ne traite pas de tout mais il peut être une bonne entrée en matière.

Ma note.
 
Challenges.
* Défi lecture 2021 : Consigne 15 - Un livre numérique ou audio - 40/100
En 2021... Je voyage : Pakistan (+ 20 points)

lundi 25 octobre 2021

Les folles enquêtes de Magritte et Georgette - Nadine Monfils

Tome 1 : Nom d'une pipe !

En résumé :
Le célèbre peintre belge René MAGRITTE est troublé par une jeune femme en robe fleurie qu'il croise à un arrêt de tram. A tel point troublé qu'il en parle à sa tendre et espiègle épouse Georgette puis en dresse un portrait sur une de ses toiles. Quelques jours plus tard, c'est avec un vif étonnement qu'il apprend l'assassinat de cette jeune femme, dont la vie était plutôt banale. Mariée à un homme sans grand intérêt, menant un quotidien routinier mais rêvant d'une vie plus enthousiasmante, elle s'était laissée séduire par de mystérieuses lettres envoyées par un admirateur secret. MAGRITTE et sa femme, bouleversés par la nouvelle, et par la prémonition du peintre qui l'avait peinte à côté de son propre corps pour symboliser une mort imminente, décident d'enquêter. Ils ne sont pas au bout de leurs surprises, puisque d'autres meurtres suivront, les victimes étant toujours des jeunes femmes ayant reçu des déclarations d'amour enflammées dans des enveloppes bleutées. Le couple excentrique pourra compter sur la gouaille de l'artiste, la perspicacité de Georgette et quelques relations avec la police bruxelloise.

Mon avis : Cela n'aura échappé à personne, le "cosy mystery" est partout sur les étals des librairies. Ces romans policiers aux meurtres édulcorés et à l'ambiance cocooning connaissent un certain succès depuis la publication des Agatha Raisin en français. Depuis, chaque auteur rivalise d'ingéniosité pour se faire une place dans l'ensemble des séries proposées. Après Agatha Raisin, Hamisch Macbeth, Marie-Antoinette (pour Frédéric LENORMAND), voici venu René MAGRITTE à la tête d'un cosy mystery à la sauce belge. C'est mon amoureux qui m'a fait découvrir ce premier tome. Je n'avais initialement pas prévu de me lancer dans ces nouvelles lectures, car toujours un peu déçue par le style littéraire des cosy mystery qui laisse en général à désirer, et par la résolution des meurtres qui est la plupart du temps prévisible dès les premiers chapitres. Néanmoins, j'ai été agréablement surprise avec ces enquêtes de MAGRITTE et Georgette qui changent un peu de l'ordinaire. D'abord, on se retrouve à Bruxelles et l'ambiance estaminet, bière et bâtiments typiques des Flandres est agréable. Ensuite, MAGRITTE est un personnage qui a du charisme et une gouaille qui le rend unique. Le personnage de Georgette, sa femme, est également bien travaillé, elle est attachante et très réaliste. D'une façon générale, on est complètement immergé dans leur quotidien qui paraît très authentique et qui doit être le fruit de nombreuses recherches effectuées par l'auteur. C'est d'ailleurs une des forces de ce roman, les nombreuses références aux tableaux de l'artiste, et à la culture belge, comme l'introduction du personnage de BREL. C'est peut-être parfois un peu trop pour moi, faire revivre toutes ces célébrités et leur prêter des vies fantasmées par l'auteur mais je dois dire que c'est quand même bien fait. L'intrigue policière en elle-même est bien menée et réfléchie. Elle prend le temps de se développer et les mystères sont progressivement dévoilés. Il n'y a pas une quantité trop importante de personnages. Malgré ma lecture fractionnée, je suis parvenue à me repérer dans l'histoire et c'est vraiment appréciable car ce n'est pas le cas avec tous les livres dont je dois parfois relire quelques chapitres pour me replonger dans l'histoire. En somme, ce premier tome des aventures de MAGRITTE et Georgette fut une belle découverte, c'est un cosy mystery travaillé, et qui change un peu des ambiances très british, en proposant un humour et une simplicité typiquement belges.

Ma note : 3/5.

Challenges :
* Défi lecture 2021 : Consigne 67 - Un livre d'une autrice blonde - 39/100
En 2021... Je voyage : Belgique (+ 15 points)

Tome 2 : A Knokke-le-Zoute !

En résumé :
 René et Georgette MAGRITTE décident de prendre du bon temps à Knokke-le-Zoute, station balnéaire huppée de la côte belge. Il faut dire que le peintre y a ses entrées puisque ses œuvres décorent le casino de la ville. A peine s'installent-ils dans leur hôtel qu'ils sont déjà dérangés par leur voisin de table, un homme plutôt affable qui n'hésite pas à leur faire part de la disparition inquiétante de sa femme Daisy Fox. Les choses s'accélèrent lorsque Jackie, la chienne du couple, découvre le lendemain ce même homme raide mort sur la plage. Si la police conclut à un fâcheux accident et classe l'affaire sans suite, Georgette et René y voient un meurtre. Qui pouvait bien en vouloir à cet homme ? Où est passée Daisy Fox ? Entre deux balades en cuistax, le couple décide de mener l'enquête.

Mon avis : Enthousiasmée l'année dernière par la lecture du premier tome de cette nouvelle série de cosy mystery, j'ai souhaité me plonger dans le second tome, et ainsi prolonger l'esprit des vacances. Je ne saurais pas vraiment expliquer pourquoi, peut-être que je n'étais pas disponible pour cette lecture, mais la magie n'a pas opéré une seconde fois pour moi. Pourtant, le côté positif reste la découverte de la culture belge. Les paysages, la gastronomie, l'art, les expressions populaires, Nadine MONFILS peuple son roman d'anecdotes typiquement belges. C'est clairement la plus-value de cette série qui au-delà du divertissement, nous amène vraiment à la découverte d'un pays, de ses habitants et de ses façons de vivre. La contrepartie est que c'est parfois un petit peu trop dans la caricature. Par exemple, l'auteur fait revivre Hergé et propose plusieurs personnages qui ont des ressemblances avec ceux développés dans les aventures de Tintin : la grand-mère de Daisy qui s'apparente à la Castafiore et le majordome Nestor. Comme dans le premier tome avec Brel, je ne suis pas vraiment adepte de ces résurrections de personnages célèbres. Même si ça part d'un bon sentiment, je trouve que c'est un peu surfait que de réinventer l'histoire en faisant se rencontrer des personnes qui ne se sont jamais croisées, même si elles ont pu s'exprimer les unes sur les autres. De même, les chapitres (très courts) purement consacrés à Magritte m'ont paru longuets. C'est tout à son honneur, l'auteur se sert de l'intrigue pour expliquer quelques uns de ses tableaux et n'hésite pas à rappeler sa façon de concevoir la peinture, sa vie auprès de Georgette. Pour saisir toute la portée de ces passages, il faudrait faire quelques recherches à côte, et avoir les peintures sous les yeux, ce que j'ai eu la flemme de faire. Quand on est en train de lire, on n'a pas forcément envie de s'interrompre toutes les deux minutes pour chercher des compléments d'information. J'ai donc carrément décroché lors de certains passages. Quant à l'enquête, rien de bien révolutionnaire non plus. C'est le genre d'intrigue qu'on a pu lire des dizaines de fois dans ce type de bouquin. C'est à la fois agréable car on passe un bon moment et en même temps, c'est le genre d'histoire qu'on aura vite fait d'oublier. Dans ce second tome, j'ai en revanche apprécié les échanges entre Magritte et Georgette qui sont empreints d'humour, et l'attitude casanière de Magritte qui n'aime pas les enfants sur la plage (comme moi) et les voisins trop bruyants (comme moi). En somme, une lecture mitigée, qui m'a fait voyager sur une côte belge très typique, mais qui contient aussi quelques longueurs et dont l'enquête aurait pu être davantage complexifiée.

Ma note : 3/5.

Challenges :
Défi lecture 2022 : Consigne 15 - Titre avec un nom de ville  - 34/100

dimanche 26 septembre 2021

Balzac et la petite tailleuse chinoise - Dai Sijie

En résumé.

En 1971, le narrateur, un collégien originaire de la ville et fils de deux médecins, et son ami Luo, fils d'un dentiste célèbre pour ses interventions critiques vis-à-vis du régime, sont envoyés en pleine campagne chinoise, dans la province du Sichuan, pour être rééduqués auprès des paysans. Ils participent, sans le vouloir, au grand mouvement lancé par Mao ZEDONG de la Révolution Culturelle, dont l'une des actions consiste à saper les ambitions des intellectuels chinois, enclins à critiquer la politique du chef d'état. Ces deux adolescents, enfants de parents trop éduqués pour plaire au régime, sont donc privés de tout et obligés de se soumettre au labeur des paysans chinois : épandage d'engrais, extraction du charbon des mines... Leur quotidien bascule lorsqu'ils s'aperçoivent qu'un de leur camarade, également envoyé en rééducation dans un autre village, détient une valise remplie de livres venant de l'Occident. Alors que les livres traditionnels chinois et les œuvres littéraires occidentales sont interdits par Mao, l'apparition de ces livres de BALZAC, FLAUBERT, DUMAS et bien d'autres constitue un véritable miracle. Les deux adolescents n'auront qu'une idée en tête : les voler et les faire découvrir à une petite tailleuse qu'ils ont rencontrée au grès de leurs balades campagnardes et dont Luo est tombé follement amoureux.

Mon avis.

Voilà un livre que j'avais chiné il y a quelques années dans une ressourcerie, resté bien longtemps sur les étagères de ma bibliothèque jusqu'à ce que je décide de l'en sortir en ce mois de Septembre consacré à la Chine (challenge En 2021, je voyage...). Ce roman autobiographique devenu un classique souvent étudié dans les salles de classe fut une belle découverte, malgré le dénouement un peu en-deça du reste du livre.

Malgré sa longueur restreinte (seulement 229 pages), ce livre offre une certaine richesse tant il peut être appréhendé sous de multiples angles :
  • Le premier est évidemment celui de l'Histoire. En tant que roman autobiographique, il offre un témoignage intéressant sur ce qu'a été la Révolution culturelle et sur l'envoi de ces jeunes issus de familles intellectuelles en séjour de rééducation. Novice sur la question, j'ai apprécié d'en apprendre davantage sur cette période de l'histoire politique et culturelle chinoise. De façon plus générale, on peut aussi y voir une description de la société chinoise de l'époque, de la pauvreté qui sévit dans les campagnes. On a également un aperçu de la précarité du système de santé avec l'avortement de la petite tailleuse.
  • Le deuxième angle est celui du pouvoir de la littérature et plus largement de la culture. Ici, les livres sont présentés comme des vecteurs essentiels d'émancipation, comme des apports indispensables à l'épanouissement de l'être humain, des objets luttant contre l'obscurantisme. La petite tailleuse est finalement un prétexte dont se sert l'auteur pour montrer à quel point la littérature est capable de transformer un homme, ou une femme. Le pouvoir est tellement grand et la transformation si radicale qu'elle échappe finalement à ceux qui voulaient la maîtriser. Ainsi la critique du régime n'est pas frontale mais beaucoup plus fine dans son approche : Dai SIJIE montre les conséquences d'une privation d'un accès à la littérature, insinuant de ce fait l'impact des choix de Mao sur ses sujets. La question du cinéma est aussi abordée dans ce texte. Le narrateur et Luo sont régulièrement envoyés dans un autre village où sont diffusés des films (toujours les mêmes) pour les regarder puis pour les raconter aux habitants de leur village qui n'ont pas la chance de pouvoir se déplacer. Les deux garçons sont des conteurs hors pair et les villageois deviennent accros à leurs histoires, tellement elles leur permettent de s'évader d'un quotidien difficile et répétitif.
  • La troisième possibilité d'approcher ce livre est celle des relations humaines. L'amitié fidèle, ou la délation, les relations amoureuses et la jalousie maladive que cela peut entraîner chez ceux qui ont été évincés.
  • Le quatrième et dernier angle est celui du dépaysement. Bizarrement, c'est peut-être celui qui m'a le plus frappé, l'image de la nature luxuriante de la campagne chinoise. La montagne boisée, les ruisseaux bordés de grosses pierres, les villages maculés de boue et les matinées brumeuses.
Toutes ces approches sont particulièrement bien développées dans la première partie qui s'attache à planter le décor et décrire les relations entre les différents personnages, puis les changements qui s'opèrent suite à la découverte du premier roman de Balzac. J'ai trouvé la suite un peu plus en-deça et maladroite dans ses développements. Le pouvoir de la littérature n'est pas assez exploité, tout comme le bouleversement qui s'opère en la petite tailleuse. Des faits sont abordés mais assez vite balayés, ça manque de profondeur, alors que d'autres épisodes sont racontés avec plus de détails alors qu'ils sont finalement mineurs dans l'intrigue. Vers la fin du livre, l'auteur change un peu de structure narrative en relatant un même passage mais décrit par trois personnages différents. Je n'ai pas bien compris l'intérêt d'un tel changement. Cela m'a même plutôt paumée et j'ai eu du mal à reprendre le cours de l'histoire. Cette fin malheureuse masque à mon avis l'essentiel du message porté par Dai SIJIE sur le pouvoir de la littérature. On se concentre sur les défauts et on ne voit plus le cœur du dénouement, à savoir le puissance de la culture tellement grande qu'elle échappe à quiconque souhaite la maîtriser, tellement puissante qu'elle permet à un lecteur/une lectrice une émancipation et une prise d'indépendance totale.

Balzac et la petite tailleuse chinoise fut une lecture intéressante de part la richesse des points de vue proposés par l'auteur. Malheureusement, la fin laisse une impression de quelque chose qui n'est pas abouti, gâchant les trois premiers quarts du livre qui sont bien menés. Je vous conseillerai néanmoins de vous plonger dans ce roman à vos heures perdues car il fait désormais partie des classiques de la littérature internationale.
Dernières infos.

Balzac et la petite tailleuse chinoise a été publié en 2000 et compte 229 pages. Il a été adapté au cinéma par l'auteur lui-même en 2002.

Ma note.
Challenges.

* Défi lecture 2021 : Consigne 78 - Un livre dont le titre contient un nom ou un adjectif de nationalité  - 38/100
En 2021... Je voyage : Chine (+ 25 points)

samedi 25 septembre 2021

Patients - Grand Corps Malade

En résumé.

Alors qu'il est animateur dans une colonie de vacances, Fabien MARSAUD, âgé de 19 ans, fait un mauvais plongeon dans une piscine pas assez remplie. Hélitreuillé en urgence, il passera un mois en réanimation. Le diagnostic est sans appel : la moelle épinière est touchée, le jeune homme qui rêvait d'une carrière dans le sport ne retrouvera plus l'usage de ses membres. Pourtant, une fois transféré dans un centre de rééducation, il réapprend, grâce à l'aide du personnel soignant, les gestes du quotidien. Il progresse plus vite que prévu et finit par se remettre debout. C'est cette année passée dans ce centre qu'il raconte dans cet écrit autobiographique, ce parcours qui a fait de lui l'homme qu'il est aujourd'hui, un slameur reconnu pour la poésie de ses textes, un chanteur plus connu sous le pseudonyme de Grand Corps Malade.

Mon avis.

Une fois n'est pas coutume, je me suis plongée dans ce livre de Grand Corps Malade pour des raisons professionnelles, ayant décidé d'étudier son récit avec mes élèves. Même s'il est l'auteur de textes très poétiques, je ne suis pas une grande fan de la musique qu'il peut proposer, le slam ne faisant pas partie des styles musicaux que j'apprécie. Pourtant, tout comme mes élèves qui adhèrent clairement à son autobiographie, j'étais curieuse de connaître son expérience et son parcours de vie.
 
Difficile de chroniquer des romans autobiographiques dans la mesure où on ne peut pas vraiment donner son avis sur le fond puisque cela appartient entièrement à son auteur. Ici, Grand Corps Malade a fait le choix de se concentrer sur son année en centre de rééducation. Il y a peu d'éléments sur son passé, sur le jeune homme qu'il était avant son accident. Peu d'éléments non plus sur son futur, une fois qu'il sera sorti du centre de rééducation et qu'il aura véritablement mis un pied dans le monde de la musique. Il s'attache plutôt à décrire l'environnement du centre, le personnel soignant, son quotidien bouleversé par la tétraplégie, mais aussi ses congénères, la diversité du public accueilli, l'amitié qu'il peut nouer avec certaines autres personnes, la difficulté de bâtir des relations saines alors qu'il y a nécessairement un phénomène de comparaison, à qui réussira à se servir de sa main, de ses jambes le plus vite. Ce récit d'une partie de sa vie n'est en aucun cas larmoyant. Grand Corps Malade utilise parfois un langage familier, fait quelques blagues, provoque aussi le lecteur à de rares occasions pour détendre l'atmosphère, ce qui marche finalement plutôt bien puisqu'on ne sent jamais étouffée par la complexité de certaines situations. Bien sûr, une certaine émotion ne nous quitte pas car on s'imagine à la place de tous ces gens accidentés, dont les ambitions ont volé en éclat en quelques minutes. Pourtant, le thème du destin est exploré dans le livre : jusqu'à quel point celui-ci peut-il aider ces personnes-là à mettre du sens sur ce qui leur est arrivé ?

Sur le plan de la forme, on est un sur un texte plutôt rapide. Les chapitres, relativement courts, s'enchaînent les uns après les autres sans suivre une trame bien définie. On a l'impression d'une accumulation d'anecdotes, jetées sur le papier au fur et à mesure que les idées viennent à l'esprit de l'auteur. Je suis un peu frustrée que le roman ne soit pas un plus long. J'aurais aimé en apprendre davantage sur son quotidien post-centre de rééducation, comment il a fait pour réintégrer le cours "normal" des choses, puis son entrée dans le milieu musical, avoir son point de vue sur le pouvoir de l'écriture, en quoi ça lui a permis de vaincre ses démons et poser des mots sur ses regrets et sur ses émotions. Néanmoins, le récit qu'il nous offre est déjà très riche de part la découverte de ce monde que l'on ne connaît pas si on n'y a jamais été confronté ou si on ne fait par partie du milieu médical. A l'heure où le budget consacré aux soins est réduit à peau de chagrin et le personnel soignant fortement mobilisé, c'est intéressant d'avoir le ressenti des patients. Son parcours témoigne aussi des prouesses que peuvent faire les professionnels du médical lorsque la prise en charge est adaptée.

En somme, un témoignage sur le handicap, la rémission et le milieu médical, qu'il est intéressant de découvrir. Une certaine frustration liée à la rapidité du roman mais l'avantage est qu'on peut l'avoir terminé en quelques heures. Fan ou pas du slameur, je vous encourage quand même à découvrir son parcours empreint de courage et de résilience. 
 
Dernières infos.
 
Patients a été publié en 2012 et compte 168 pages.
 
Ma note.
 
Challenges.

* Défi lecture 2021 : Consigne 20 - Joker - 37/100

samedi 11 septembre 2021

Le gang des rêves - Luca Di Fulvio

En résumé.

Cetta Luminita, fille d'une famille pauvre de l'Italie rurale, n'a que quatorze ans et déjà un enfant à charge, fruit d'un viol aussi soudain que cruel. Maltraitée par sa mère qui l'a forcée à boiter pour paraître moins désirable aux yeux des hommes du village, Cetta rêve d'une autre vie pour son fils, une vie qui laisserait place à l'amour et la considération. C'est donc sur un coup de tête qu'elle embarque pour un voyage plein de promesses, une traversée de l'Atlantique pour rejoindre la ville de New York. En ce début des années 20, les Etats-Unis apparaissent comme le pays de tous les possibles et la preuve vivante du génie humain. L'arrivée de la jeune femme et de son enfant, rapidement baptisé Christmas par les autorités américaines, détone pourtant rapidement de l'image rêvée par Cetta. Seul moyen de subvenir à leurs besoins, la prostitution. Habiter dans une sorte de cachot sans fenêtre. Pas d'école pour Christmas, simplement l'errance dans les rues, au milieu de la poussière et de la violence. Il comprend vite que s'il veut s'en sortir, il faudra pour lui aussi faire partie d'un gang, ou encore mieux, créer le sien. Les Diamond Dogs seront donc son leitmotiv, plutôt tournés vers la protection des plus faibles. La première bonne action de ce gang nouvellement créé par Christmas sera de porter secours à Ruth Isaacson, toute jeune fille trouvée un soir, en panique après avoir été atrocement violentée. Cet événement est le point de départ d'une relation aussi passionnée qu'impossible entre Christmas, garçon des rues, fils d'une prostituée, et Ruth, petite fille d'un magnat de l'industrie textile et faisant partie des hommes les plus riches de la ville. Les deux enfants vont grandir, se tourner autour, être séparés, se retrouver, avec toujours en toile de fond un pays qui se développe à grande vitesse, emportant certains dans la prospérité mais au détriment d'autres, qui n'auront plus que leurs yeux pour pleurer et leurs poings pour se défendre.

Mon avis.

Voilà un roman que m'a prêté une amie il y a quelques années déjà, alors qu'il était en train de devenir un véritable best-seller. J'ai mis beaucoup de temps à le sortir de ma bibliothèque, un peu rebutée par le nombre de pages, je l'avoue. Pour savourer tout le talent de Luca DI FULVIO, j'attendais de pouvoir être en vacances et pleinement concentrée sur ma lecture. C'est désormais chose faite !

Une fresque comme je les aime, qui prend le temps de se déployer devant nos yeux impatients. Des petites histoires dans la grande Histoire, témoins du New York des années 20 et du fameux american dream. Je dirais que la force de ce roman tient surtout à cette exploration de la société américaine de cette époque, et plus particulière de l'organisation d'une ville qui est en train de se construire pour devenir ce qu'elle est aujourd'hui. C'est fascinant de voir comment les forces s'équilibrent entre la puissance des gangs, leur rivalité, le secret qui entoure les chefs de gang, et la police, largement corrompue. C'est fascinant de voir comment cette ville très cosmopolite parvient à composer avec des nationalités, des langues et des cultures différentes pour bâtir un équilibre commun. C'est également intéressant de voir à quel point les inégalités qui avaient cours à cette époque sont toujours d'actualité, un siècle plus tard. Cet examen sociologique est incarné par des personnages nombreux et marquants, tellement qu'il est impossible de les oublier ou de les confondre. Voilà la deuxième force de ce pavé. L'auteur prend le temps de les développer, de fouiller les racines de leur maux pour certains d'entre eux, comme c'est le cas pour Bill, personnage tellement abject qu'il est impossible de ne pas être hanté par sa personnalité si sordide. Si Cetta et Sal sont les deux personnages les plus notables de la première partie, Christmas et Ruth prennent le relais dans la seconde partie. J'ai plutôt bien adhéré à tous les personnages, sauf peut-être celui de Ruth que j'ai davantage eu de mal à cerner, en particulier dans le seconde partie où elle commence à prendre de l'ampleur.

Le point faible qui m'a empêché d'avoir un coup de cœur pour ce roman qui reste toutefois une lecture magistrale tant elle est riche est la trame narrative. Je l'ai trouvée un peu en-deçà de tout le reste, voire parfois incohérente avec l'ambiance installée par l'auteur. On est plongés dans un contexte très violent, sordide, avec des scènes qui paraissent sales et qui peuvent être dérangeantes à plusieurs égards. Des points de lumière sont apportés pour trancher avec cette obscurité qui nous occupe pendant la majorité du livre. Toutefois, je trouve qu'ils ne sont pas placés aux bons moments. Certes, l'histoire d'amour entre Ruth et Christmas fait plaisir à voir mais elle est finalement trop belle pour correspondre à toutes les horreurs qui se déploient à côté. Elle a quelque chose de cliché, le pauvre et la riche qui tombent amoureux et qui finiront par être réunis contre toutes attentes. Le parcours de Christmas est lui aussi un peu téléphoné, le gars des rues qui finit toujours par s'en sortir, juste grâce à son verbe et son charisme, alors que les gangs sont par ailleurs décrits comme incroyablement violents. Sa réussite finale contient aussi quelque chose de "trop beau pour être vrai". D'une manière générale, la première partie, bien que difficile à lire de part sa violence, m'a davantage convaincue que la seconde partie que j'ai trouvée un peu plus naïve malgré tout ce qui se passe dans l'industrie du cinéma et qui fait froid dans le dos. Je n'ai pas non plus compris pourquoi on arrêtait soudainement de s'intéresser aux personnages de Cetta et Sal qui sont quand même des personnages emblématiques du roman.

Voilà un avis qui viendra s'ajouter aux dizaines d'autres que l'on peut trouver sur la toile. Pour ma part, ce ne fut pas un coup de cœur, mais j'ai tout de même apprécié ma lecture, toujours friande de ces épopées qui s'étalent sur des pages et des pages. De fait, on ne peut être qu'immergés dans une ambiance et dans un décor. Ici, celle du New York des années 20 est tout à fait intéressante. Seul bémol pour les poncifs égrainés au fil du récit et qui cassent un peu tout le contexte réel de l'histoire de Cetta et Christmas. Sans transition, j'ai vu que Luca DI FULVIO avait publié plusieurs autres livres depuis Le gang des rêves, j'essaierai de m'y pencher dessus dès que j'aurai le temps de me plonger dans des pavés.
Dernières infos.

Le gang des rêves a été publié en 2008 pour la version originale et compte 944 pages.

Ma note.
Challenges.

* Défi lecture 2021 : Consigne 13 - Un livre se déroulant dans les années 1920 - 35/100
En 2021... Je voyage : Italie (+ 15 points)

dimanche 5 septembre 2021

Une saison douce - Milena Agus

En résumé.
 
Voilà un petit village perdu au sud de la Sardaigne, non loin de Cagliari, sans âme qui vive. Si, quelques personnes y vivent encore, mais elles ont laissé leurs âmes s'envoler. Plus de commerces, plus de train qui passe par là, des bâtiments en ruine et tous les jeunes qui sont partis faire leur vie sur le continent. Même si la mer n'est pas loin, même si le soleil est au zénith, on se croirait proche de la fin du monde. Alors que l'hiver pointe le bout de son nez, apportant avec lui quelques larmes de désespoir supplémentaires, des envahisseurs débarquent. Des blancs, des bronzés, des noirs et des noires, de quoi effrayer les habitants du village, bien en marge de ce qui peut se passer à l'autre bout de leur village désolé. Des migrants, ayant fui la guerre, la misère et la violence quotidienne, accompagnés d'humanitaires tout aussi déboussolés. En transit vers le continent européen, le maire de la commune d'à côte leur a laissé une énième bâtisse en ruine pour poser leurs baluchons, dans l'attente qu'ils soient logés ailleurs, sur le continent. L'arrivée de ces hommes et de ces femmes divisent très vite les villageois, entre ceux qui y voient une opportunité de mettre un peu de vie dans ce trou perdu, et ceux qui y voient une menace. Pourtant, c'est bien la chaleur humaine qui l'emporte, et le petit village perdu du sud de la Sardaigne se remettra à vivre, le temps d'une douce saison.

Mon avis.

Après le Naples d'Elena FERRANTE, je poursuis mon escapade italienne en Sardaigne avec ce très court roman de Milena AGUS découvert chez Jostein. Une chance, ma médiathèque venait de le mettre dans ses rayonnages. Et hop, les valises faites, chapeau de paille sur la tête, lunettes de soleil à mes yeux et me voilà partie pour un voyage sarde à moindres frais !

L'atterrissage fut un peu chaotique, avec des difficultés à entrer dans l'histoire. C'est bien le problème de ces courts romans, il faut embarquer le lecteur assez rapidement et il n'y a pas de place pour le superflu. Ainsi, quelques éléments de contexte sont volontairement zappés, comme le nom exact du village et plus embêtant, l'identité du narrateur. Le roman est écrit à la première personne du pluriel, on imagine derrière ce "nous" plutôt une femme qui parle au nom des autres, celles qui sont de son côté, et donc du côté des migrants. C'est un peu déstabilisant au départ puis on finit par s'y faire. J'imagine que ce "nous" permet de mettre l'accent sur ce qui se passe au sein du village, plutôt que sur le narrateur qui n'est finalement qu'un observateur. Il y a du rythme, et beaucoup de choses à raconter avec tous ces personnages qui sont listés en début de bouquin. J'ai d'ailleurs fini par m'y perdre un peu, entre les villageois, les humanitaires qui sont relativement nombreux et les migrants eux-mêmes. La liste n'est pas très aidante puisqu'elle ne fait que nommer les personnages, sans décrire ce qui les caractérise. Même si l'auteur parvient à garder le fil rouge de son histoire, on peut avoir l'impression à certains moments qu'elle part dans tous les sens tant il y a à développer sur ce sujet.

J'en viens donc au gros bémol de ce roman : sa rapidité. Milena AGUS avait de quoi nous tenir pour 400 pages tellement il y a de pistes à développer. Ce village aurait pu être le théâtre d'une incroyable fresque, mettant en scène tous ces personnages si singuliers. J'aurais aimé que les relations d'amitié soient approfondies, ainsi que les amourettes que l'on voit poindre, j'aurais aimé être spectatrice de la renaissance de ce village paumé, j'aurais aimé voir les bâtiments se reconstruire sous mes yeux, les humanitaires et les migrants prendre une place de plus en plus importante auprès des villageois et les potagers se gorger de fruits et de légumes au fil des saisons. Loin des craintes initiales, l'arrivée de ces envahisseurs, comme ils sont nommés dans le roman, est finalement une bénédiction pour ce village en perdition. C'est d'ailleurs une piste de réflexion intéressante, que de voir la vie qui peut être ainsi insufflée dans des coins de campagne reculés, avec cette envie d'œuvrer pour le bien commun en renouant avec la terre et ce qu'elle peut offrir aux hommes. J'ai également apprécié de voir évoluer les personnages qui retirent tous quelque chose de cette situation inédite. Dommage que ces pistes ne soient pas davantage fouillées et développées, sans compter que certains passages n'ont pas grande utilité, comme ceux sur le religion, qui m'ont beaucoup ennuyée.

Voilà une lecture intéressante à découvrir sur le moment, mais qui ne laissera malheureusement pas une trace indélébile dans ma mémoire de lectrice. Les lieux, les personnages et la trame principale sont bien pensés et offrent des pistes de réflexion pertinentes sur l'accueil des réfugiés en Europe. Dommage que le roman ne soit pas plus long, pour laisser au lecteur le temps de vivre aux côtés de ces habitants éclectiques. 
Dernières infos.
 
Une saison douce a été publié en 2021 et compte 166 pages.
 
Ma note.
Challenges.

* Défi lecture 2021 : Consigne 72 - Un livre avec le mot "nuit" dans le texte (p.29) - 33/100
En 2021... Je voyage : Italie (+ 20 points)

samedi 14 août 2021

L'amie prodigieuse - Elena Ferrante

Tome 1 : L'amie prodigieuse

En résumé : Dans les années cinquante, dans un quartier défavorisé de Naples, Elena, la narratrice, et Lila vivent leurs premières expériences en tant qu'enfants puis en tant qu'adolescentes. Le fil rouge est leur amitié, assez particulière, avec une admiration sans faille d'Elena pour Lila, cette jeune fille qu'elle dépeint comme étant très vive d'esprit et d'un charme redoutable malgré sa maigreur. Dès leur plus tendre enfance, une compétition les anime. D'abord à l'école, où les deux jeunes filles excellent, mais seule Elena aura accès à un avenir prometteur. Puis avec les garçons, où cette fois-ci c'est Lila qui finira par prendre le dessus. Même si elles cherchent à s'en émanciper, leurs choix et leurs personnalités seront amplement guidés par le contexte socio-économique de l'époque. Ce quartier marqué par le pouvoir des hommes, la richesse de certains qui peuvent frimer en ayant accès aux biens de consommation des années d'après-guerre, mais aussi ces familles d’artisan qui commencent à être menacés par l'implantation d'usines promettant de produire plus, et à moindre coût. Dans ce contexte de mutation, les deux jeunes filles évoluent, tentant de trouver leur place l'une vis-à-vis de l'autre, des autres, dans ce quartier puis dans cette ville de Naples.
 
Mon avis : Un avis qui viendra compléter la liste déjà très longue des chroniques que l'on peut trouver sur le sujet, tellement cette saga a eu du succès, portée par le mystère qui entoure l'identité de son auteur. Comme pour beaucoup d'autres lecteurs, c'est ce succès qui m'a conduite à me procurer ce premier tome chez le bouquiniste, mais aussi le résumé et le côté historique dépaysant, à la fois dans l'espace (l'Italie, Naples) et dans le temps (les années cinquante). Comme j'ai pu le lire à droite à gauche, ce livre appartient peut-être au genre contemplatif. Il ne faut pas s'attendre à beaucoup de rebondissements ni à de grands suspense. Néanmoins, je ne me suis pas ennuyée une seule seconde. Si la première partie peut paraître un peu plus longuette car il est surtout question de la relation entre Lila et la narratrice, la deuxième partie file à toute vitesse, les deux jeunes filles grandissent et sont impliquées dans des histoires qui les dépassent, faisant intervenir plus de personnages. C'est une histoire d'une grande richesse. C'est d'abord le thème de l'amitié qui est exploré, une amitié fusionnelle, du moins du point de vue d'Elena, une amitié fondée sur des bases plutôt malsaines puisqu'il est question de compétition, de jalousie, d'envie d'être à la place de l'autre. Ce thème a quelque chose d'universel, chaque lecteur ou lectrice pourra se reconnaître soit dans la fonceuse Lila, soit dans la sage Elena. J'ai vraiment apprécié que l'analyse de cette amitié soit au cœur de l'intrigue. Si la relation amoureuse, ou filiale, est souvent une préoccupation des écrivains, c'est plutôt rare de voir la question de l'amitié aussi fouillée. Alors certes, ce n'est pas ce qui promet le plus de suspense mais c'est intéressant de lire à ce sujet et ça permet aussi de prendre du recul avec nos propres amitiés. Ensuite, il y a la question de l'évolution de la personnalité, la construction de sa propre identité, et de comment tout cela peut être influencé par un contexte. Si les deux amies ont des parcours plutôt similaires au départ, bien que différentes par leur caractère, on voit à quel point leur trajectoire est déterminante dans l'évolution de ce qu'elles sont. Cela atteint son paroxysme lors de la scène du mariage lors de laquelle Elena s'interroge sur le décalage qui existe désormais entre ce qu'elle est devenue, ses connaissances et ses compétences, et tous ces gens qu'elle côtoie depuis son enfance mais avec qui elle ne partage plus rien. Enfin, il y a tout le contexte socio-économique et l'ambiance propre à cette ville côtière du sud de l'Italie dans les années cinquante. La violence est beaucoup mise en avant quand je lis des résumés de ce premier tome. Or, je trouve que ce n'est pas vraiment ce qui caractérise ce quartier défavorisé. Bien sûr, il y a des règlements de compte entre clans rivaux mais ce sont plus la comparaison, la frustration de ne pas avoir autant que les voisins et les petits arrangements entre familles qui sont marquants. La place des hommes est primordiale à cette époque, Lila et Elena ne seront pas totalement libres de leurs mouvements et c'est ce qui va être intéressant d'observer dans les prochains tomes. Je me suis complètement immergée dans le quotidien des deux jeunes filles et j'ai tout plein de sensations qui me reviennent en tête à la simple évocation de ce roman. Le grand pouvoir de la littérature, faire voyager tout en restant dans son fauteuil ! Je crois que vous l'aurez compris, je suis vraiment enthousiasmée par ma lecture tellement elle fut incroyablement riche de part tous les thèmes abordés. J'ai hâte de découvrir les prochains tomes, ainsi que l'adaptation en série.

Ma note : 4/5.

Challenges.

* Défi lecture 2021 : Consigne 31 - Un livre contenant le mot bibliothèque (en dehors du titre) - 32/100
En 2021... Je voyage : Italie (+ 25 points)
 
Tome 2 : Le nouveau nom

En résumé : Alors que la fête bat son plein, Lila comprend que son tout récent mari, Stefano, l'a trahie en pactisant dans son dos avec son ennemi juré, Marcello, lequel arrive à son mariage avec aux pieds les toutes premières chaussures qu'elles avaient crées puis offertes à Stefano. Pour la catégorique Lila, cet affront est impardonnable. L'amour qu'elle portait jusqu'alors pour son mari s'enfuit au fur et à mesure que sa colère grandit. Devant sa froideur lors de la lune de miel, Stefano la violente pour parvenir à ses fins. Lorsqu'ils reviennent dans leur quartier, les traces des coups sont toujours visibles et tranchent vulgairement avec le luxe de leur nouvel appartement. Elena, la narratrice, observe avec beaucoup d'angoisse le chemin qu'emprunte son amie de toujours. Elle qui a toujours refusé d'être enfermée dans un moule se retrouve à jouer les épouses parfaites, bientôt patronne de la deuxième épicerie des Caracci, alors que dans le même temps s'ouvre dans le centre ville de Naples une boutique présentant les modèles de chaussures Cerullo. De son côté, Elena poursuit ses études au lycée bien que toute motivation l'abandonne, à mesure qu'elle voit Lila dépérir. Son seul réconfort est de s'imaginer aux côtés de l'intellectuel Nino qui est désormais à l'université. Malgré ces chemins qui s'éloignent, les deux amies se rejoignent le temps d'un été sur l'île d'Ischia. Lila, sur les conseils de son médecin, doit faire des bains de mer pour donner un enfant à Stefano alors qu'Elena rêve secrètement de fréquenter Nino qui passe également ses vacances là-bas. Seulement, les vacances ne se passeront pas comme prévues et vont venir perturber l'équilibre de la relation d'amitié entre Lila et Lenu.
 
Mon avis : J'ai pour habitude de laisser passer quelques mois entre la lecture de deux tomes d'une même saga mais L'amie prodigieuse fut une exception à la règle. Après avoir regardé l'adaptation en série du premier tome avec mon amoureux, je n'ai eu qu'une seule envie : entamer le second. Je dois avouer que je me suis complètement laissée convaincre par cette fabuleuse série et j'ai entraîné mon amoureux dans mon engouement, c'est donc ensemble que nous découvrons désormais le parcours de Lila et Lenu. Avec ce second tome, on entre directement dans le vif du sujet, emportés par la violence des rapports entre Stefano et Lila. Le pression redescend lorsque nous arrivons sur l'île d'Ischia. Bien que des rebondissements ont lieu durant cette période de vacances, on est de nouveau sur un registre plus contemplatif, puis le rythme s'accélère de nouveau une fois que les deux amis reviennent à Naples. Grâce à cet alternance de rythme, le suspense est ménagé jusqu'à la dernière ligne. Néanmoins, attention à ceux qui seraient en quête d'aventures. Comme je l'ai mentionné pour le premier tome, L'amie prodigieuse n'est pas un récit picaresque, où chaque page apporte son lot de bouleversements. On savoure plutôt chaque mot, chaque phrase qui nous permet de découvrir peu à peu tous ces personnages si merveilleusement disséqués. Ce second tome fut pour moi un véritable coup de cœur. Je pense que c'est la première fois qu'un roman me bouleverse autant dans ma chair, quitte à faire bouger les lignes de ce que je suis. Les mots d'Elena FERRANTE, au travers de Lenu et de sa façon de rendre compte de la vie et des gens m'ont apporté des réponses à certaines interrogations que j'avais, notamment sur l'amitié. C'est bouleversant de précision, renversant de sensibilité, époustouflant de justesse dans l'analyse psychologique des personnages. La plume d'Elena FERRANTE saisit chaque détail qu'il est important de saisir. Alors que ses personnages sont plutôt simples en apparence, elle parvient à les complexifier en analysant leurs intentions et en décelant en chacun d'eux quels sont leurs raisons d'être et de vivre. Le personnage qui se révèle à mon sens dans ce second tome est celui de Lenu. Du moins, c'est celui qui m'a le plus marquée, tellement certains de nos traits de caractère sont communs. Lila est toujours aussi présente, mais davantage en toile de fond, comme un élément qui plane sur Elena et qui façonne sa personnalité, au fur et à mesure des déceptions et des trahisons. L'Italie des années 60 est toujours aussi plaisante à découvrir. Bien que l'histoire des deux jeunes filles soit intemporelle, les décors offrent un dépaysement supplémentaire et sont indissociables de leurs évolutions. Les questions du patriarcat et du pouvoir des hommes sur les trajectoires des femmes sont omniprésentes, et c'est dans le souhait de s'émanciper de leur influence que Lila et Lenu puisent leur force. J'ai d'ores et déjà une furieuse envie de me plonger dans le troisième tome mais je vais essayer de résister, pour faire durer le plaisir le plus longtemps possible. Je sais néanmoins que je relirai souvent ces tomes, ne serait-ce que pour revivre cette impression grisante de se voir évoluer grâce à la littérature.

Ma note : 5/5.

Challenges.

* Défi lecture 2021 : Consigne 28 - Lire la suite d'un livre qui a été intégré au Défi Lecture 2021 - 45/100
En 2021... Je voyage : Italie (+ 5 points)

Tome 3 : Celle qui fuit et celle qui reste

En résumé : Nous voilà entrés dans la période intermédiaire, pour reprendre les termes de l'auteur. Lenu et Lila ne sont plus des enfants, ni des jeunes filles, elles deviennent femmes. L'amour, l'amitié, la maternité, autant de questions qui les traversent alors qu'un vent contestataire souffle sur l'Italie des années 60/70. Ces nouvelles revendications à la fois salariales et sociales amènent chacun à se positionner, et n'épargnent aucune classe sociale. Les choix des deux amies et la façon dont elles s'inscrivent dans ce nouveau mouvement les éloignent encore davantage. Si Lila est restée près de Naples, trimant dans une usine pour nourrir son fils Genaro, Elena s'enfuit à Florence où elle épouse Pietro Airota, fils d'éminents professeurs d'université. A l'éloignement géographique, s'ajoute la différence des modes de vie entre une Lila farouche qui n'a pas réussi à s'émanciper et une Lenu toujours sur la réserve mais qui parvient, à force d'un travail acharné, à se faire un nom dans les milieux intellectuels. Au fil des années, on voit avancer ces deux femmes qui luttent en permanence pour vivre en accord avec leurs convictions les plus intimes - convictions qui sont sans arrêt contrariées par l'évolution de la société.
 
Mon avis : Après le bouleversement procuré par la lecture du second tome de L'Amie Prodigieuse, je n'avais qu'une envie : entamer le troisième tome. Autant dire que mes ardeurs ont vite été refroidies par la teneur des premiers chapitres. Il est beaucoup question de Lenu et de son livre, comment celui-ci a été reçu par la critique, comme celui-ci lui a permis de trouver une place temporaire dans les milieux intellectuels qui deviennent sa seconde famille maintenant qu'elle a épousé Pietro Airota. J'ai trouvé ces passages plutôt longs, tout comme les passages sur la révolution des moeurs qui agitent l'Europe dans ces années-là. Autant l'aspect socio-économique m'intéressait dans les deux premiers tomes qui nous font découvrir le Naples des années 50, autant dans ce troisième tome, je ne me suis pas sentie emportée par les contestations sociales portées par les protagonistes que l'on suit dès le début, même si je sais que celles-ci sont déterminantes dans la façon dont Lila et Lenu vont se construire. J'ai en revanche été plus emballée par l'histoire de Lila, puis par l'évolution de Lenu et par ses désirs d'émancipation en fin de bouquin. La destinée de Lenu a quelque chose de fade, d'ennuyant - à l'image de ce que l'on ressent à la lecture de ce troisième tome. Elle qui était promise à un grand avenir semble perdre pied et s'enliser dans la routine, maintenant que les études ne sont plus là pour la valoriser. On sent comme une résignation chez elle, une docilité face aux injonctions sociétales qui lui tombent dessus : se marier, avoir des enfants, tenir sa maison. Toutefois, ce qui est intéressant, et ce qui fait toujours la force de cette saga, c'est l'analyse qu'elle peut faire de sa vie, tout en la comparant à celle de Lila. Même si les liens des deux amies ont tendance à s'étioler, ne serait-ce qu'à cause de la distance, on voit à quel point l'une se construit en fonction de l'autre, ce qui est particulièrement vrai pour Lenu, en qui Lila ne cesse de résonner. Si Lenu semble passive pendant la plupart du bouquin, jouant toujours le rôle de l'observatrice, on sent bien que la décision qu'elle prend à la fin du bouquin est le fruit de petites graines qui onté été semées dans les années précédentes, notamment par les revendications féministes qui se font de plus en plus entendre. Même si ce troisième tome m'a un peu lassée de part ces longueurs, j'ai encore cette fois-ci été époustouflée par la plume d'Elena FERRANTE qui dissèque ces personnages et la vie en général avec tellement de justesse et de précision. Séduite par le dénouement de ce troisième tome, j'ai hâte de me plonger dans le quatrième !

Ma note : 5/5.

Challenges.

* Défi lecture 2021 : Consigne 47 - Livre contenant plus de 80 chapitres - 21/100