dimanche 21 mars 2021

Ce que le jour doit à la nuit - Yasmina Khadra

En résumé.

Dans les années 1930, en Algérie, Younes et sa famille sont contraints de quitter leurs terres agricoles après un ultime incendie. Sans le sous, ils débarquent dans les faubourgs d'Oran, logés dans un taudis, au milieu d'une pauvreté sans nom. Le père du jeune garçon s'acharne nuit et jour à trouver du travail pour nourrir sa famille mais bientôt cela ne suffit plus. L'oncle, pharmacien, propose d'adopter Younès pour lui offrir un avenir meilleur. Younès sera désormais Jonas, et il grandira auprès de son oncle et de sa tante, au train de vie plus que confortable. Après un incident, la famille recomposée quitte à son tour Oran pour rejoindre Rio Salado, un village principalement habité par des colons venus d'Espagne et renommé pour son activité viticole. C'est là que Jonas passera sa vie, nouera une amitié forte avec Simon, Jean-Christophe et Fabrice, rencontrera les beaux yeux d'Emilie, pour finir par se laisser surprendre par une guerre atroce qui bouleversera tous ses repères.

Mon avis.

Voilà une lecture entamée un peu par hasard, alors que je cherchais de nouveaux auteurs étrangers pour mon challenge "En 2021... Je voyage". Si j'avais déjà beaucoup entendu parlé de Yasmina KHADRA, je n'avais encore jamais lu un de ses ouvrages. Après quelques explorations, j'ai pensé que Ce que le jour doit à la nuit serait celui qui me tenterait le plus, parmi sa bibliographie étendue. Je ne me suis pas trompée, ce fut une lecture riche et chargée en émotions.

C'est bien le personnage de Younès, devenu Jonas, qui nous accompagne durant la totalité du récit - un récit narré à la première personne et qui retrace toute une vie, depuis les premières tragédies jusqu'aux regrets qui accompagnent ce jeune homme devenu grand-père. Une vaste fresque qui se lit pourtant facilement. La longueur idéale, un peu plus de quatre cent pages, certaines époques sont balayées assez rapidement alors que les événements principaux sont analysés avec plus de détails. La plume de Yasmina KHADRA est précise, travaillée, et sert à merveille ce personnage si complexe qu'est Younès. Le décor est planté avec efficacité, un cocktail de sensations me saisissent désormais quand je pense à ce livre : la puanteur des faubourgs d'Oran, la chaleur qui écrase ces terres d'Algérie, la maison de Younès, que j'imagine avec beaucoup de verdure, et sa vue sur les vignes, la musique qui résonne dans les bals pour célébrer les vendanges, la maison des Cazenave, blanche, majestueuse, avec vue sur les collines desséchées. Il y a l'émotion aussi qui me saisit, celle d'avoir eu le sentiment de partager cette vie faite d'un enchaînement de tragédies.

Même si la guerre d'Algérie arrive en toile de fond dans les derniers chapitres, Ce que le jour doit à la nuit est avant tout le récit d'une existence, marquée par les malheurs, plus que par le bonheur. Il ne faut pas y voir un plaidoyer pour tel ou tel camp, juste l'histoire d'un jeune homme, né algérien mais élevé à la française, un jeune homme qui a toujours eu du mal à se positionner, que ce soit pour se définir une identité comme pour dire oui à la femme de sa vie. Par lâcheté peut-être, pas peur de trahir, parce qu'on ne lui a jamais demandé de choisir dans ses premières années, parce qu'il a de nombreuses fois subi le déracinement... Il est difficile de porter un jugement sur l'attitude de Younès tant sa position est compliquée à tenir. J'ai surtout été émue par cette vie qui a été faite d'actes manqués, les espoirs déçus et les regrets qui hantent à l'approche de la fin. Ces personnes que l'on croise, que l'on aime puis qu'on laisse partir, avec une douleur tellement vive qu'elle empêche des retrouvailles ultérieures. C'est un des travers de la vie qui m'obsède et j'ai trouvé un écho à tous mes questionnements dans les réflexions de Younès. Ainsi, j'ai vécu ce livre plus comme une découverte de différents personnages aussi complexes les uns que les autres que comme un récit sur la guerre d'Algérie et la difficulté à choisir un camp, même si ce thème est bien évidemment abordé par l'auteur. Pour moi qui n'avais jamais lu à ce sujet, je trouve que c'est d'ailleurs une bonne entrée en matière, pas trop de date, ni de politique, juste la petite histoire encore une fois, le chagrin vécu dans les deux camps, ceux qui ont été opprimés et qui ont pris les armes, et ceux qui ont été contraints de s'exiler alors qu'ils considéraient l'Algérie comme leur terre natale, n'ayant jamais foulé le sol français auparavant. Il n'y a pas de parti pris dans cette histoire, juste des hommes, des faits et des choix à faire ou à ne pas faire.

Une première rencontre avec Yasmina KHADRA réussie et prometteuse. L'histoire de Younès démontre une justesse dans les réflexions, l'émotion qui m'a saisie en fin de livre m'a laissée dans un état de mélancolie puissant. Si jamais vous ne connaissez pas cet auteur, je vous conseille de commencer par ce livre. Et si jamais vous avez déjà lu un livre de l'auteur, je vous conseille quand même de vous plonger dans celui-là ! 
Dernières infos.

Ce que le jour doit à la nuit a été publié en 2008 et compte 413 pages. Il a été adaptée en film en 2012 par Alexandre ARCADY.

Ma note.
Challenges.

* Défi lecture 2021 : Consigne 94 - Un livre dont le titre contient un moment de la journée (aube, matin, matinée, après-midi, soir, crépuscule, nuit...) - 9/100
En 2021... Je voyage : Algérie (+ 20 points)

samedi 13 mars 2021

Sublime royaume - Yaa Gyasi

En résumé.
 
Chercheuse en neurochirurgie, Gifty tente d'expliquer, au moyen de ses expériences sur des souris de laboratoire, les mécanismes neurologiques sous-jacents aux phénomènes d'addiction et de dépression. La jeune femme n'a pas choisi ces sujets par hasard. Issue d'une famille originaire du Ghana, mais née aux États-Unis, elle est depuis son enfance confrontée aux cycles dépressifs de sa mère et à l’addiction de son frères aux opioïdes, ces fameux médicaments anti-douleur qui ont tué des milliers d'Américains. Alors qu'elle avance dans ses recherches, elle doit accueillir chez elle sa mère qui connaît une rechute et qui reste prostrée dans son lit nuit et jour. Ce nouvel épisode dépressif rappelle à Gifty son enfance très marquée par la foi religieuse de sa mère, les sautes d'humeur de cette dernière, l'absence de son père, la popularité de son frère Nana puis sa descente aux enfers. A travers ces souvenirs, elle cherche à expliquer la femme qu'elle est aujourd'hui, panser les blessures pour aller de l'avant, trouver suffisamment de force et de courage pour supporter le chagrin abyssal de sa mère.

Mon avis.

J'ai emprunté ce livre à la médiathèque un peu sur un coup de tête, séduite par sa couverture aux couleurs vives mais aussi par la réputation de Yaa GYASI qui a connu le succès avec son premier roman No home, que je n'ai pourtant pas lu jusqu'à présent. C'était aussi l'occasion de découvrir un nouvel auteur originaire du continent africain, toujours dans l'optique de diversifier mes lectures. Ce livre, bien que triste et désarmant, fut une agréable surprise.

C'est vrai qu'il faut avoir un moral d'acier lorsqu'on entame ce roman. La couverture, si belle et si vive, et ce titre prometteur offrent un contraste saisissant avec le contenu. Il s'agit en fait d'une introspection, qui dure plus de trois cent pages, une analyse de ce qui a été et de ce qui est, des causes et des conséquences. L'ensemble du récit est construit sur des alternances entre passé et présent, épousant la forme d'une spirale. Gifty déroule progressivement le fil de sa vie, puis le casse, revient au présent, puis continue quelques pages plus loin à le dérouler, pour s'arrêter sur des points de détail qui pourraient en fait expliquer la détresse de cette famille brisée. Ainsi, même si l'on reste sur un récit à la première personne parfois pesant, l'ensemble reste dynamique, on est plongés au cœur de cette analyse psychologique, voire philosophique, très fine, complexe et menée avec beaucoup de rigueur. Les alternances entre passé et présent sont bien construites, de sorte que je ne me suis jamais sentie perdue. Même s'il n'y a pas de suspense, puisque Gifty résume dès les premiers chapitres ce qu'il est arrivé à sa famille, on a pourtant envie de tourner les pages pour découvrir avec précision quels sont les éléments qui ont mené à de tels drames.

J'ai trouvé que le personnage de Gifty n'était pas véritablement attachant. Bien qu'elle ait dû surmonter de nombreuses épreuves qui ne peuvent que toucher le lecteur, elle reste difficile à cerner. En même temps, cette complexité du personnage montre à quel point il a été travaillé par Yaa GYASI. C'est un personnage empli de nuances, ni blanc, ni noir, constamment partagé entre ses valeurs, et notamment la place de la religion dans sa vie, et ce qu'elle est devenue au fil des années, une jeune femme ayant choisi de se tourner vers les sciences et donc vers une approche plus "rationnelle" des êtres et des choses. Quoiqu'il en soit, elle se pose des questions de fond, obsédée par cette envie de comprendre ce qui peut amener une personne à ne plus sortir de son lit, ne plus éprouver de plaisir pour quoique ce soit, et ce qui peut amener quelqu'un d'autre à tomber dans une forme d'addiction. Ainsi, les thèmes de la religion et de la science, ainsi que leur opposition, sont omniprésents et Gifty finit par leur donner un même dessin, celui de comprendre l'Homme et de trouver des raisons à des comportements irrationnels. D'autres thèmes sont également présents, comme celui du déracinement, ici du Ghana pour rejoindre les Etats-Unis, ou encore celui de la place des personnes noires immigrées dans la société américaine. Il est aussi question des relations filiales, et de la famille au sens large, comment les non-dits, les décisions prises à la hâte peuvent engendrer de la rancœur, jusqu'à aller au désespoir. L'auteur saisit ainsi dans ces quelques pages toute la complexité d'une situation, il n'y a jamais qu'une seule cause, les drames sont toujours d'origine multifactorielle.

Il s'agit donc d'un texte riche, posant de nombreuses questions et offrant au lecteur le cheminement d'une pensée, d'un raisonnement. L'action est apportée par la narration de la vie de cette famille éclatée, des êtres finalement banals mais au destin douloureux et complexe. A lire si jamais vous aimez ces romans à une seule voix, attention cependant à être dans une humeur de champion...
Dernières infos.

Sublime royaume a été publié en 2020 et compte 371 pages.

Ma note.
Challenges.

* Défi lecture 2021 : Consigne 86 - Un livre dans lequel une marque est citée (M&M's p.97) - 8/100
En 2021... Je voyage : Ghana (+ 25 points)