dimanche 13 novembre 2022

Apaiser nos tempêtes - Jean Hegland

En résumé.

États-Unis, époque contemporaine. Cerise et Anna sont deux femmes que tout oppose. Une étudie la photographie et a un train de vie plutôt confortable, tandis que l'autre se cherche et est issue d'une famille moins aisée. L'une est très sensible, cherche à exprimer la complexité de l'âme humaine dans ses photos, l'autre est introvertie et n'a quasiment aucune relation sociale. Pourtant, ces deux femmes vont vivre un même événement : une grossesse indésirée. L'une va décider d'avorter alors que l'autre va faire le choix de garder le bébé et de l'élever seule. Le parcours de ces deux femmes est raconté sur des décennies, mis en parallèle, pour peut-être, finir par se rejoindre pour apaiser leurs tempêtes intérieures.

Mon avis.

Je suis tombée sur ce livre il y a quelques mois, un peu par hasard au fur et à mesure de mes pérégrinations sur Livraddict. En ce moment, le thème de la maternité m'intéresse, et ce livre semblait correspondre à mes attentes, suivre la vie de deux femmes, une qui a fait le choix de mettre au monde son bébé, l'autre qui a fait le choix d'avorter. A la lecture de la quatrième de couverture, je pensais suivre l'une avec dans sa vie un ou des enfants, et l'autre sans enfant. En fait, les deux vont finir par avoir des enfants, et la question n'est pas celle d'une vie avec ou sans enfant mais plutôt celle de la maternité dans son acceptation la plus large, des premiers instants de vie à la période difficile de l'adolescence. Quoiqu'un peu déçue par le décalage entre ce que je projetais et ce qu'est le livre en réalité, je peux d'ores et déjà vous dire qu'Apaiser nos tempêtes est un livre puissant, souvent éprouvant sur le plan émotionnel, et dont on ne ressort pas indemne.

S'il est si puissant, au-delà des parcours de vie de Cerise et d'Anna, c'est grâce au style d'écriture de Jean HEGLAND. Sa plume est tellement sensorielle. Quand on se plonge dans cette histoire, ce sont tous nos sens qui sont mis en alerte : la vue, l'ouïe, l'odorat, le toucher et peut-être même le goût. Quand je repense à ma lecture, c'est un film qui me revient en mémoire, je vois des scènes se dérouler devant mes yeux, accompagnées de sons, d'une odeur qui se dégage. La description des lieux photographiés par Anna y est pour beaucoup. La lumière est omniprésente dans ce roman, elle appuie les ressentis des deux protagonistes, nous plonge dans une ambiance particulière et est indissociable des événements vécues par les jeunes femmes. Ainsi chaque passage est ancré dans un environnement si bien décrit qu'on a l'impression d'y être, et l'on rentre complètement en symbiose avec les personnages principaux. La puissance de ce roman vient également de son ancrage dans la vie réelle de femmes américaines qui se retrouvent face à ce choix cornélien : garder son bébé ou avorter. Les questions politiques sont abordées avec subtilité. Elles influencent les jeunes femmes, elles font partie de leur choix, même implicitement, elles font partie du décor, mais ne sont jamais dénoncées ouvertement. Ainsi, une scène est décrite avec les anti-avortements manifestant devant une clinique qui pratique l'avortement. A l'inverse Cerise tombe sur une association (secte ?) qui la convainc de garder son enfant, au nom de la protection absolue de la vie. L'auteur de donne pas son avis, elle présente juste deux situations et laisse le soin au lecteur d'analyser les arguments des deux camps. La question de l'éducation d'un enfant au sein d'une famille monoparentale est également explorée, tout comme celle de la vie des femmes qui se retrouvent sans toit, sans argent, sans famille. De part tous ces aspects, Apaiser nos tempêtes est incroyablement riche, et donne matière à penser, à réfléchir mais aussi à s'émouvoir.

Le fil rouge de ces deux intrigues est celui de la maternité, mais aussi celui de la condition de mère, de femme. Deux parcours qui s'opposent, deux milieux sociaux différents, mais les mêmes interrogations. L'auteur oppose les destins de ces deux femmes pour en faire ressortir ce qui les lie intrinsèquement, ce qui lie en réalité chaque femme. C'est beau mais c'est aussi parfois très difficile à lire. Le regard porté sur ces deux personnages est incroyablement détaillé et réaliste. Cerise et Anna pourraient être n'importe quelle femme croisée dans la rue. Des femmes qui se battent avec ce qu'elles sont, qui se battent pour que leur progéniture soit la plus épanouie possible. La maternité est abordée sans détour, elle apparaît comme une nécessité pour les deux femmes mais l'on mesure à quel point il est difficile de devenir mère, de l'accouchement à la période de l'adolescence. Dans l'introduction, Jean HEGLAND fait part de son bonheur d'être devenue mère et de la nécessité de mettre en avant le thème peu exploité de la maternité en littérature, ce qui est plutôt paradoxal car elle signe un roman aux passages très sombres qui aurait plutôt tendance à saper l'envie d'avoir un enfant. J'ai d'ailleurs trouvé que l'histoire de Cerise versait un peu trop parfois dans l'extrême et le mélodramatique. Certes, les événements qu'elle doit endurer sont une réalité pour bien des personnes mais peut-être qu'une telle violence, si extrême n'avait pas sa place dans ce roman déjà si profond. Quoiqu'il en soit, je n'ai pas pu m'empêcher de tourner les pages à la vitesse de la lumière, avide de connaître l'histoire de ces femmes, envoutée par les images suggérées par l'auteur et troublée par toute l'émotion contenue dans ce texte si bien rédigé.

Voici un roman essentiel sur la femme, sur la mère et sur la maternité. Si vous n'êtes pas sensible à ces thèmes, je vous encourage quand même à vous tourner vers ce livre dont la richesse est telle que vous ne pourrez qu'être emportée par le destin des ces deux femmes, à la fois si ordinaires et si extraordinaires. Séduite par cette plume que je ne connaissais pas, je me tournerai peut-être prochainement vers son premier roman, Dans la forêt.
Dernières infos.

Apaiser nos tempêtes a été publié en 2021 et compte 556 pages.

Ma note.
Challenges.

Défi lecture 2022 : Consigne 1 - Livre contenant plus de 500 pages - 37/100