samedi 28 mars 2020

Tropique de la violence - Natacha Appanah

En résumé.

Jeune infirmière, Marie tombe amoureuse de Cham. Ensemble, ils rejoignent l'île de Mayotte, cent-unième département français surnommé "l'île aux parfums" et situé au large du continent africain. Très vite, ils désirent un enfant, mais n'y parviennent pas, Cham quitte Marie, celle-ci poursuit sa vie seule, jusqu'à ce fameux soir. Ce soir où elle accueille à l'hôpital une jeune femme clandestine, arrivée plus tôt à bord d'un kwassa-kwassa, ces bateaux synonymes d'espoir pour les Commoriens ou les Malgaches qui fuient la pauvreté pour tenter leur chance en territoire français. La jeunne femme tient dans ses bras son bébé qui ne lui appartient déjà plus. Elle souhaite le donner, se débarasser de cet enfant à l'oeil du djinn, un enfant en fait atteint d'hétérochromie (les deux yeux sont d'une couleur différente), mais qui porterait malheur pour ces populations aux coutumes ancestrales. Marie le recueille, et à peine l'a t-elle serré contre elle qu'il devient son fils, Moïse, arrivé par les mers, un soir de pluie. Le temps passe, tous deux vivent en harmonie jusqu'à cet autre jour, où la vie de Marie bascule une seconde fois. Moïse apprend ses origines et change du tout au tout, reniant le luxe proposé par sa mère adoptive. Il vivra à la dure, il réalisera son destin, celui d'un clandestin. Il enchaîne les mauvaises rencontres mais c'est tout ce qu'il lui reste après la mort de Marie, terrassée par une crise cardiaque. Sa vie, désormais, c'est la lutte, la pauvreté, la drogue, l'alcool, bref, le quotiden dans le bidonville de Kaweni, surnommé Gaza par ses habitants. Oui, c'est une histoire qui parle de choses qui arrivent en France.

Mon avis.

Je suis tombée sur ce livre un peu par hasard, en me renseignant sur les lauréats du prix de l'Escale - prix littéraire organisé dans la région bordelaise et qui récompense chaque année le roman d'un jeune auteur publié à l'occasion de la rentrée littéraire, parmi cinq titres préalablement choisis. Après la lecture de la quatrième de couverture, je me suis laissée tenter, friande de ce genre d'histoires, difficiles mais qui s'inspirent d'une réalité cruelle. Par ailleurs, même si je connaissais la réputation plutôt noircie de l'île de Mayotte, je n'avais encore rien lu là-dessus. C'était donc l'occasion.

Le titre de ce roman ne pouvait pas être mieux choisi. D'un côté, les tropiques et les premières évocations qui nous viennent en tête : le soleil, des mers à l'eau turquoise, des fleurs aux couleurs et aux parfums enivrants, des marchés qui abondent de saveurs exotiques ; d'un autre côté, la violence et ce deuxième type d'évocations : la mort, la brutalité, la lutte sociale et physique, le sang, la pauvreté. Là est toute l'ambivalence de ce roman, d'un côté la douceur des mots de Marie et des espoirs de cet homme qui vient monter une maison d'aide aux jeunes dans le bidonville de Kaweni, d'un autre côté la cruauté de Bruce, le chef de Kaweni, symbole de ce qui se joue à une autre échelle, à savoir la gestion des ces clandestins qui débarquent tous les jours sur Mayotte, avec l'espoir de prétendre aux droits français mais qui finalement échouent dans des bidonvilles malfamés.

Je crois que c'est la première fois que je rédige un résumé aussi long, peut-être pour décrire une certaine complexité dans ces quelques pages. Tropique de la violence fait définitivement partie de cette catégorie de livres, courts par leur nombre de pages, mais puissants par ce qu'il viennent dire au lecteur. Il se jouent dans ces quelques chapitres des vies, une recherche d'identité primoridiale, celle de Moïse bien sûr, mais aussi celle de Marie en tant que mère, celle de Bruce en tant que chef, celles de ces policiers en tant que défenseurs de la justice, celle de ce jeune homme aux idéaux intacts, en tant qu'humanitaire. Cette course à l'identité, parce qu'elle est profondément ancrée et vitale, est d'une violence inouïe, elle fait mal et essore ces personnages jusqu'à la dernière goutte de sang. Le fait que le récit soit raconté par différentes voix nous noient à chaque fois dans un nouveau type de violence. D'abord, celle de Marie, abandonnée par son mari et meurtrie par cette impossibilité d'avoir un enfant. Puis celle de Moïse, peut-être la plus puissante, celle du rejet par sa mère, du rejet par les habitants de Kaweni et celle de la recherche d'une identité. Enfin, celle de Bruce, ce tyran qui fait régner une espèce de terreur indispensable sur ce bidonville dont il se réclame le chef absolu. Et puis, il y a en encore une autre, plus sourde, qui ne trouve pas de mots mais qui apparaît en filigrane au fil des pages, celle de l'impuissance à arrêter ce système, corrompu jusqu'à la moëlle, gangréné par la pauvreté et la lutte pour les moyens de survie. A travers ses personnages, Natacha APPANAH a réussi l'incroyable tour de force de dire tout ça, sans tomber dans la carictaure, ni dans une forme de pitié larmoyante. Ses mots sont justes, froids et tranchants comme la lame d'un couteau, nous percutant suffisamment pour que cette lecture reste figée en nous.

Vous l'aurez compris, je vous conseille ce roman très court mais incroyablement puissant qui changera, peut-être, l'image paradisiaque que nous avons habituellement de nos contrées d'outre-mer. Attention cependant aux âmes sensibles, ce roman ne s'embarasse pas de tournures inutiles, les faits rapportés sont francs mais ô combien réels.
Dernières infos.

Tropique de la violence a été publié en 2016 et compte 175 pages. Ce roman a reçu de nombreuses distinctions, dont, entre autres, le prix Femina des lycéens, le prix du roman France Télévisions et le prix de l'Escale. Ce récit a été adapté en BD par Gaël HENRI. Je vous la conseille, elle donne encore un éclairage nouveau sur l'histoire de Moïse.

Ma note.
Challenges.

Défi lecture 2020 : Consigne 13 - Livre où il y a plusieurs narrateurs

samedi 7 mars 2020

Bienvenue au motel des pins perdus - Katarina Bivald

En résumé.

Alors qu'elle traverse une route perdue de l'Oregon, proche du motel dans lequel elle travaille depuis son adolescence, Henny, accaparée par ses pensées tournées vers son grand amour, est fauchée par un camionneur et tuée sur le coup. Tandis que son corps amoché gît sur ce bitume qu'elle a foulé à de nombreuses reprises, l'âme d'Henny s'incarne en un fantôme omniscient, bien décidé à hanter ce lieu qui l'a vu grandir et s'épanouir. La jeune femme observe l'agitation qui règne autour de son décés, son amie MacKenzie qui est encore tout pour elle, son père à la vision étriquée, ses amis, partis il y a longtemps mais de retour pour un ultime hommage, cette ville de Pine Creek avec ses habitants aussi chaleureux que pris dans leur logique conservatrice et ce motel, délabré, ruiné mais toujours ouvert à ceux qui en éprouvent le besoin. Comme pour panser le choc de l'accident et son départ brutal, Henny se donne une dernière mission, celle de rassembler tous ces êtres perdus et emmurés dans la solitude.

Mon avis.

Ayant apprécié les deux premiers livres de Katarina BIVALD, La bibliothèque des coeurs cabossés et Le jour où Anita envoya tout balader, j'ai eu envie de me lancer dans ce troisième opus lorsque je l'ai croisé sur les rayons de ma médiathèque bien aimée. Il faut dire que la couverture, une fois de plus très colorée et plein de mignonitude (mot à soumettre à l'Académie française), attire l'oeil !

Ce troisième tome reste fidèle à la patte de Katarina BIVALD, qui choisit toujours des histoires ancrées dans le quotidien et mettant en scène des personnages simples, des anti-héros, des Monsieur et Madame Tout le monde qu'elle aime polir pour n'en faire ressortir que le meilleur. Dans ses romans, tout s'installe lentement, au rythme de ces êtres singuliers et banals qu'elle élève au rang de stars, les sentiments sont aussi longs à venir, enfouis sous des couches de faux-semblant. Les rebondissements se font rares, car elle est une partisane des changements de longue haleine, qui prennent du temps pour s'opérer mais qui sont finalement les plus robustes et les plus efficaces. Seule entorse pour ce troisième écrit, l'apparition surréaliste d'un fantôme, le narrateur qui plus est, mais c'est encore avec ce dessein de donner au lecteur une parole vraie, authentique et remplie d'humanité. Je suis toujours sensible à cette bienveillance qui se dégage des romans de Katarina BIVALD, véritable pause de douceur dans un quotidien âpre et dur. Toutefois, cette fois-ci, je n'ai pas su patienter et accepter la lenteur qui m'était proposé. Je trouve que l'histoire peine à décoller et à nous embarquer. On se sent baladé sur plusieurs terrains, celui du passé, celui du présent, celui des morts, celui des vivants, sans trouver d'ancrage. Je ne savais donc plus où donner de la tête et je n'ai pas su garder le fil rouge qui n'apparaît d'ailleurs pas très clairement. La longueur conséquente du récit, près de 600 pages, nous décourage quand on est au beau milieu de celui-ci et que les choses n'accélèrent pas, on attend, on attend ce nouveau souffle mais il ne vient pas. Alors on persévère, jusqu'à la dernière page. Heureusement que certaines réflexions, pas inintéressantes, nous sont proposées, cela apporte de la mâche à ce dessert déséquilibré car englouti sous la chantilly des bons sentiments.

Selon la plupart des chroniques ou présention du livre que j'ai pu lire à droite à gauche, le coeur de ce récit serait la défense de la communauté LGBT et de toutes les questions qui touchent à l'homosexualité. Bien sûr, ce thème est très présent mais il est loin d'être le seul à mes yeux et je dirais même que la question transgenre est finalement très vite balayée par l'auteur, alors que le thème de l'homosexualité est bien plus approfondi, au travers du personnage phare de MacKenzie mais aussi du combat qu'elle a dû mener avec ses amis pour faire accepter son choix dans une petite ville typique de l'Amérique rurale, très conservatrice et ancrée sur des valeurs guidées par la religion. Je ne sais pas si ce combat est tiré de faits réels mais il est en tout cas très réaliste et reflète à la perfection la situation Outre-Atlantique. En lien avec ce premier thème, il y a aussi bien évidemment la question du devenir de ces petites villes, perdues au milieu de la pampa américaine, sérieusement touchées par le chômage et qui s'enlisent dans des positions conservatrices, comme si seule la foi pourrait les sortir du marasme économique, alors que l'acception de choix différents conduiraient à une déroute certaine. Enfin, un dernier thème, celui du deuil, me paraît être au coeur de cet ouvrage, avec ces questions lancinantes qui se posent à chaque fois que ce thème est traité en littérature :  comment se reconstruire lorsqu'un être cher disparaît ? Comment lui laisser encore une place alors qu'il n'est plus là ? Comment gérer ses émotions, le chagrin bien sûr, mais aussi la frustration de ne pas être allé au bout de ses projets avec lui ou elle ? Quelles sont les différentes manières de vivre le deuil, selon qu'on est parent, ami ou amant de la personne disparue ? Trois problématiques puissantes qui marquent, au travers de ses personnages, l'engagement de Katarina BIVALD pour une société progressiste et profondément humaine.

Le sentiment d'être un peu passée à côté de l'histoire d'Henny et de ses accolytes, malgré toute la bienveillance qui demeure et l'engagement que l'on sent de la part de l'auteur sur des problématiques très actuelles. Pour moi, trop de longueur, trop de répétitions et pas assez de rebondissements. Je vous le conseille toutefois si vous êtes à la recherche d'une histoire où espace et temps s'étirent et vous enveloppent dans un nuage de douceur.
Dernières infos.

Bienvenue au motel des pins perdus a été publié en 2019 et compte 565 pages.

Ma note.
Challenges.

Défi lecture 2020 : Consigne 52 - Lire un livre dans lequel il est mentionné une chanson réelle (p. 108 - Tunnel of love de Bruce SPRINGSTEEN)