samedi 30 juin 2018

La carapace de la tortue - Marie-Laure Hubert Nasser

En résumé.

Clotilde, une jeune femme mal dans sa peau à cause de ses rondeurs et des brimades qu'elle a reçues pendant son enfance, décide de quitter son emploi de femme de maison en région parisienne pour revenir à ses origines, le Sud-Ouest. C'est sa grand-tante, une femme de poigne qui règne d'une main de maître sur un immeuble bordelais qui l’accueille à son retour. Grâce à l'aide de ses voisins, elle est bien décidée à changer la vie de sa nièce pour qui elle éprouve une bienveillance toute particulière. Sur la route de notre éclopée de la vie, seront mis des personnages très singuliers qui eux-mêmes se battent avec leurs déceptions et leurs regrets. Parce que ce sont des héros du quotidien, Clotilde s'y attachera et finira, peut-être, par éclore une seconde fois.

Mon avis.

Cette couverture ne vous dit très certainement rien mais allez donc faire un tour du côté de celle choisie par les éditions Folio pour la version poche. On y voit une tortue dont la carapace est ornée de marshmallows colorés dans les tons pastel. Ce sont sur cette jolie image pleine de douceur et sur la quatrième de couverture que j'avais craqué il y a déjà quelques temps, glissant La carapace de la tortue dans ma Wish-List. J'ai fini par trouver ce livre à la bibliothèque et il m'a accompagné pendant ma semaine (intense) d'examens.

Cette lecture fait partie de ce que j'appelle "les lectures ordinaires" - c'est-à-dire des lectures qui parlent de gens et de choses ordinaires, qui sont criantes de réalisme, dans lesquelles il ne se passe pas grand chose et dont on ressort ni joyeux, ni triste, ne sachant pas trop quel avis se faire. C'est un peu ce qui se passe ici. On assiste à la renaissance d'une femme, Clotilde,  personnage bien fouillé, puisque c'est sur elle que repose l'histoire, mais dont les traits sont parfois caricaturaux et insistants. On a dans les premiers chapitres quelques longueurs destinées à bien nous faire comprendre que Clotilde est un monstre et que sa vie est moche, vraiment moche. Une fois qu'elle revient à Bordeaux, les choses s'accélèrent, d'autres personnages viennent compléter le tableau, ce qui nous met un petit coup de jus pour nous maintenir éveillés. Là encore, quelques longueurs subsistent mais on s'y croit, dans ces histoires de l'ordinaire. Les personnages sont plutôt intéressants, ils conservent en eux le poids de la caricature mais on sent un effort de la part de Marie-Laure Hubert Nasser pour faire d'eux des oasis d’excentricité, apportant ainsi du relief à la platitude apparente de la figure principale. Même si les faits relatés ne sont pas d'une originalité folle, cela ne tombe jamais dans le niais et le prévisible. Le style d'écriture reste agréable, travaillé, ce qui nous donne l'impression ne pas être tout à fait dans du chick-lit. L'auteur nous offre même, aux deux-tiers du livre, quelques pages écrites par Clotilde, à la première personne donc, et qui viennent apporter un petit plus. Ses mots confirment ce que nous raconte le narrateur depuis le début et cassent le rythme. On en avait besoin ! Ma très grosse déception, qui rejoint celle de tous les autres lectures dont j'ai pu lire les chroniques ça et là, est la fin. Sur le moment, j'ai tellement été surprise que j'ai relu le passage plusieurs fois, histoire d'être sûre que j'avais bien compris ce que souhaitait nous dire l'auteur. Moi qui suis très sensible aux dénouements, qui sont ce que je retiens en priorité dans mes lectures, celui-ci n'est vraiment pas réussi et surtout ne cadre absolument pas avec le ton de l'histoire.

Une chronique qui se veut rapide mais qui a le mérite de correspondre à mes impressions. Vous l'aurez compris, je n'ai pas été particulièrement emballée par cette histoire, même si elle reste dans l'ensemble agréable. Dommage, car la quatrième de couverture était alléchante. En revanche, j'ai beaucoup aimé le cadre de l'histoire (Bordeaux et sa région) puisque ce sont des lieux que je connais par cœur et qui me sont chers. Je tenais à le souligner car c'est rare que ces coins-là servent de toile de fond pour des intrigues littéraires.

D'un coup d’œil, les plus, les moins.

+ Une histoire qui se veut, dans l'ensemble, agréable et qui ne tombe ni dans le niais, ni le prévisible.
+ Les personnages pour leur humanité et leur réalisme.
+ La ville de Bordeaux qui est un personnage à part entière.

- Quelques longueurs.
- Les personnages ont parfois des traits très caricaturaux.
- La fin, mais pourquoi nous avoir fait ça ?!

Dernières infos.

La carapace de la tortue a été publié en 2013 et compte 248 pages.

Ma note.

dimanche 24 juin 2018

Rien ne s'oppose à la nuit - Delphine de Vigan

En résumé.

A la manière d'une enquêtrice, Delphine de Vigan a interrogé sans relâche les membres de sa famille, dépoussiéré les vieux cahiers, fouillé dans les cartons, écouté pendant des heures des cassettes audio à la recherche du moindre indice qui pourrait l'aider à comprendre sa mère. Cette femme, Lucile, dont l'avenir semblait prometteur, a lutté toute sa vie contre la bipolarité. Alternant les phases d'euphorie et d'intenses dépressions, elle a marqué à jamais ses deux filles, qui l'ont aimée sans la connaître véritablement. Alors qu'elle a mis fin à ses jours, lasse de supporter le quotidien, l'auteur souhaite, à l'aide des mots, rendre un dernier hommage à ce personnage à la fois si fort et si fragile, tout en racontant ces années compliquées où il est difficile de se construire quand on est écrasé par le poids des secrets familiaux.

Mon avis.

Rien ne s'oppose à la nuit est ma deuxième expérience avec Delphine de Vigan - ma première étant No et Moi. En pleine période d'examens, j'avais besoin d'une lecture inédite mais qui ne me décevrait pas. D'abord attirée par D'après une histoire vraie, je me suis finalement tournée vers celui-ci car il paraitraît que ce serait là le début de cette histoire vraie. Je me félicite de ce choix car ce livre a parfaitement satisfait mon envie d'une lecture à la fois fluide et prenante. 

Il est toujours difficile pour moi de chroniquer ce genre de livre, qui se situe à la frontière entre l'autobiographie et le roman, car je ne me permettrais pas de donner mon avis sur l'histoire en elle-même, qui n'appartient qu'à la famille de Lucile. Mes ressentis vont donc porter uniquement sur l'enrobage, le papier cadeau délicatement placé autour de l'essentiel. Cet enrobage est réussi, simple mais efficace. On a envie d'arracher le papier pour vite entrer dans le vif du sujet. La vigueur avec laquelle on s'empare du cadeau est d'ailleurs perturbante. Je me suis parfois sentie gênée car j'avais l'impression de faire preuve de voyeurisme, prenant dans la face tous ces secrets de famille qui ne me regardent finalement peu, et pourtant on ne peut pas s'arrêter de lire. Même si l'histoire repose sur du vrai, pour apaiser ma gêne, je me suis imaginée un personnage fictif, qui correspondrait à Madame Toutlemonde mais qui serait quand même en dehors de toute forme de réalité. Cette prise de recul avec l'émotion délivrée par le récit est facilitée par l'auteur qui ne qualifie pas sa mère d'un Maman mais d'un Lucile, elle-même prenant ses distances avec le personnage principal de son histoire. Je l'ai donc vue comme un cas clinique, dont on pourrait s'amuser à décortiquer la vie pour essayer de comprendre les événements qui l'ont amené à sa perte. Il faut dire que Delphine de Vigan n'est pas avare en détails. On connaît (presque) tout de Lucile, de son enfance, au milieu de cette fratrie qui nous semble énorme, jusqu'à ses derniers jours, en passant par sa jeunesse douloureuse, étouffée par les non-dits familiaux. J'ai d'ailleurs trouvé la partie consacrée à son enfance un peu longue mais tout de même nécessaire pour pouvoir s'imprégner de la suite. 

Même si j'ai pris mes distances avec Lucile pour ne pas subir de plein fouet toute l'intimité qui l'entoure, ce projet cathartique de l'écrivain m'a parfois mise mal à l'aise. Dès les premières lignes, elle explique le malaise qui est le sien dans l'évocation de ces souvenirs dramatiques. Cela n'est pas dérangeant dans la mesure où l'on comprend qu'elle souhaite avant tout écrire ce livre pour se libérer du poids des secrets qui ont entouré sa mère. Toutefois, elle n'hésite pas à mentionner à plusieurs reprises ce malaise, à l'intensifier, donnant ainsi une impression de répétition. On a presque envie de lui suggérer de ne finalmenent pas l'écrire ou de l'écrire pour elle seule, tant on en vient à se sentir coupable de participer en quelque sorte à cette entreprise délicate et qui lui fait du mal. D'autre part, certains paragraphes m'ont paru décousus. Il n'est pas difficile de retenir les nombreux personnages qui gravitent autour de Lucile. Néanmoins, on passe parfois du coq à l'âne. Peut-être à cause de ce récit parfois décousu, peut-être parce que j'ai mis à distance Lucile, peut-être parce que je suis habituée à des secrets de famille de part mon métier, peut-être parce que Delphine de Vigan en fait parfois des caisses sur sa difficulté à écrire, je ne suis pas ressortie bouleversée de ce roman autobiographique, contrairement à bon nombre de lecteurs. Je pense qu'il m'a manqué un peu plus de subtilité. Ce fut toutefois une belle lecture que je vous recommande lorsque vous aurez envie de robustesse sensible.

D'un coup d'oeil, les plus, les moins.

+ Style fluide, qui accroche le lecteur, on tourne les pages avec avidité.
+ A notre tour, on ressent l'envie de comprendre qui était Lucile.

- Quelques répétitions, notamment la difficulté pour l'auteur d'écrire ce livre
- L'impression de voyeurisme que l'on éprouve parfois.
- Une première partie consacrée à l'enfance de Lucile un peu longue mais nécessaire pour pouvoir s'imprégner de la suite.
- Quelques passages décousus, où on ne saisit pas vraiment les liens.

Dernières infos.

Rien ne s'oppose à la nuit a été publié en 2011 et compte 437 pages. Il a reçu de nombreux prix : le Prix Renaudot des lycéens, le Prix France Télévisions et le Grand Prix "roman" des lectrices de Elle. Si vous êtes séduits par la plume de Delphine de Vigan, sachez qu'elle a également publié No et moi, Un soir de Décembre, D'après une histoire vraie ou encore Jours sans faim.

Ma note.

samedi 2 juin 2018

Illettré - Cécile Ladjali

En résumé.

Léo est atteint d'un mal invisible et, semble-t-il, incurable. Ce mal le ronge depuis qu'il est enfant, depuis que ses parents ont décidé de le laisser seul avec sa grand-mère elle aussi souffrante. Ce mal le suit dans sa vie de petit garçon, alors que les institutions républicaines essaient de le soigner à coup de dictées, de lectures et de rédactions. Les pansements ne suffiront pas, le mal est trop profond, il a déjà commencé à infuser dans tout son être. Il le harcèle sur son lieu de travail, Léo se sent tombé au milieu de cette presse qui crache des signes abstraits toute la journée. Ce mal s'accroche à lui, même lorsqu'il tombe amoureux, il l'empêche d'être à la hauteur de cette jolie infirmière passionnée des mots qui vient, ironie du sort, panser les blessures dont ce mal est à l'origine, une fois de plus. Ce mal fait de Léo un jeune homme de vingt ans pourri de solitude, qui se console dans les bras d'Iggy, un iguane à la peau sèche peu bavard mais toujours fidèle au poste. Ce mal, c'est l'illettrisme.

Mon avis.

J'ai croisé la route de ce livre il y a quelques temps déjà, sur Livraddict. Je ne connaissais alors rien de Cécile Ladjali et j'avais un peu peur de tomber dans le travers de tous ces livres qui traitent des maux de la société (handicap, pauvreté, minorité), à savoir l'écriture de quelque chose de très larmoyant où l'on cherche par tous les moyens la pitié du lecteur. Finalement, il n'en est rien, j'ai découvert un texte sublime, un auteur bourré de talent et un personnage que j'ai dû quitter, à regrets.

Comme le dit Cécile Ladjali, Illettré est à la fois un livre politique et poétique. Politique parce qu'il traite de l'illettrisme, tare invisible de la République dont on parle finalement peu, que ce soit dans les médias ou dans les arts (cinéma, littérature, etc). Elle qui a longtemps enseigné dans des établissements scolaires classés en zones d'éducation prioritaires en Seine-Saint-Denis, souhaitait mettre en avant le déni de certains hommes politiques et enseignants qui n'admettent pas qu'ils sont en échec face à certains élèves qui se noient à l'école et qui ne parviennent pas à entrer dans le langage écrit. Dans le cas de Léo, par exemple, on ne peut que se demander comment il a fait pour être scolarisé jusqu'à ses treize ans et arriver au collège avec un Français très approximatif. Certes, dans son cas, le milieu éducatif dans lequel il a grandi a contribué à l'éloigner des signes de l'écriture mais on peut tout de même s'interroger sur la place de l'école. Cette dimension politique est bien présente dans l'ouvrage, jamais explicite mais toujours incarnée par les personnages que nous croisons au fil des pages. Pour autant, ce n'est pas celle qui m'a marquée le plus.

J'ai surtout été frappée par le dimension plus poétique, plus romanesque de l'histoire, à tel point que j'ai vite oublié que c'est un livre qui traite avant tout d'illettrisme. A vrai dire, je n'ai vu que le personnage de Léo. Je me suis vraiment attachée à lui, sans éprouver de la pitié, mais je l'ai trouvé beau dans sa fragilité. Certes, il n'a pas les mots, il cafouille toute la journée mais sa maladresse est touchante et on finit par ne plus voir que l'homme, débarrassé des casseroles qu'il traîne depuis son enfance. La plume de l'auteur le pare d'une robe majestueuse, l'enrobe d'un charisme discret, tout en le mettant à poil devant les lecteurs. C'est très cru et en même temps très doux, au plus proche de l'humain. Vous l'aurez compris, je n'ai pas pu résister aux mots de Cécile Ladjali qui sont d'une justesse remarquable, même si elle tombe parfois dans un ton un peu jargonneux, offrant alors un contraste saisissant avec les mots de Léo.

Au-delà des dimensions politique et poétique, je dirais qu'il y a aussi une dimension philosophique à ce livre. En filigrane et vraiment par petites touches se pose la question du langage et de l'accès au langage. Les mots, la lecture, l'écriture sont autant de possibilités qui nous sont offertes pour dompter la vie, pour apaiser ce qui nous fait souffrir ou ce qui nous inquiète (la mort, la maladie, le chagrin). Le langage est aussi un vecteur important dans la structuration de la pensée. Léo n'a pas tout ça, il n'a que l'oral, incapable de mettre des mots sur ses douleurs ou de s'évader par la lecture. Sa personnalité, il se la construit uniquement grâce aux bribes de choses qu'il entend ça et là, n'ayant jamais accès à l'implicite et aux non-dits. Cette interrogation sur le langage et sur le pouvoir des mots écrits semble être une constante chez cette écrivain, agrégée de lettres modernes et enseignante pour qui l'écriture revêt une grande importance, au même titre que la transmission. En plus d'un livre, j'ai découvert une femme de lettres dont j'ai déjà hâte de lire les autres écrits. 

Illettré est assurément le genre de livres à avoir dans sa bibliothèque. Moi qui l'ai emprunté pour cette lecture, je pense me l'offrir pour conserver une trace de ce Léo si touchant... 

D'un coup d’œil, les plus, les moins.

+ Les multiples niveaux d'interprétation de l'histoire (politique, poétique, philosophique).
+ Le personnage de Léo, d'une pureté incroyable.
+ La plume de Cécile Ladjali qui rend un bel hommage à Léo.

- Quelques termes jargonneux mais cela m'a permis d'apprendre plein de nouveaux mots.

Dernières infos.

Illettré a été publié en 2016 et compte 222 pages. Si vous souhaitez en savoir plus sur ce livre et rencontrer virtuellement l'auteur, je vous conseille cet extrait de la Grande Librairie où Cécile Ladjali présente son œuvre et cet autre extrait filmé par la librairie Mollat (grande librairie bordelaise).

Ma note.