samedi 2 juin 2018

Illettré - Cécile Ladjali

En résumé.

Léo est atteint d'un mal invisible et, semble-t-il, incurable. Ce mal le ronge depuis qu'il est enfant, depuis que ses parents ont décidé de le laisser seul avec sa grand-mère elle aussi souffrante. Ce mal le suit dans sa vie de petit garçon, alors que les institutions républicaines essaient de le soigner à coup de dictées, de lectures et de rédactions. Les pansements ne suffiront pas, le mal est trop profond, il a déjà commencé à infuser dans tout son être. Il le harcèle sur son lieu de travail, Léo se sent tombé au milieu de cette presse qui crache des signes abstraits toute la journée. Ce mal s'accroche à lui, même lorsqu'il tombe amoureux, il l'empêche d'être à la hauteur de cette jolie infirmière passionnée des mots qui vient, ironie du sort, panser les blessures dont ce mal est à l'origine, une fois de plus. Ce mal fait de Léo un jeune homme de vingt ans pourri de solitude, qui se console dans les bras d'Iggy, un iguane à la peau sèche peu bavard mais toujours fidèle au poste. Ce mal, c'est l'illettrisme.

Mon avis.

J'ai croisé la route de ce livre il y a quelques temps déjà, sur Livraddict. Je ne connaissais alors rien de Cécile Ladjali et j'avais un peu peur de tomber dans le travers de tous ces livres qui traitent des maux de la société (handicap, pauvreté, minorité), à savoir l'écriture de quelque chose de très larmoyant où l'on cherche par tous les moyens la pitié du lecteur. Finalement, il n'en est rien, j'ai découvert un texte sublime, un auteur bourré de talent et un personnage que j'ai dû quitter, à regrets.

Comme le dit Cécile Ladjali, Illettré est à la fois un livre politique et poétique. Politique parce qu'il traite de l'illettrisme, tare invisible de la République dont on parle finalement peu, que ce soit dans les médias ou dans les arts (cinéma, littérature, etc). Elle qui a longtemps enseigné dans des établissements scolaires classés en zones d'éducation prioritaires en Seine-Saint-Denis, souhaitait mettre en avant le déni de certains hommes politiques et enseignants qui n'admettent pas qu'ils sont en échec face à certains élèves qui se noient à l'école et qui ne parviennent pas à entrer dans le langage écrit. Dans le cas de Léo, par exemple, on ne peut que se demander comment il a fait pour être scolarisé jusqu'à ses treize ans et arriver au collège avec un Français très approximatif. Certes, dans son cas, le milieu éducatif dans lequel il a grandi a contribué à l'éloigner des signes de l'écriture mais on peut tout de même s'interroger sur la place de l'école. Cette dimension politique est bien présente dans l'ouvrage, jamais explicite mais toujours incarnée par les personnages que nous croisons au fil des pages. Pour autant, ce n'est pas celle qui m'a marquée le plus.

J'ai surtout été frappée par le dimension plus poétique, plus romanesque de l'histoire, à tel point que j'ai vite oublié que c'est un livre qui traite avant tout d'illettrisme. A vrai dire, je n'ai vu que le personnage de Léo. Je me suis vraiment attachée à lui, sans éprouver de la pitié, mais je l'ai trouvé beau dans sa fragilité. Certes, il n'a pas les mots, il cafouille toute la journée mais sa maladresse est touchante et on finit par ne plus voir que l'homme, débarrassé des casseroles qu'il traîne depuis son enfance. La plume de l'auteur le pare d'une robe majestueuse, l'enrobe d'un charisme discret, tout en le mettant à poil devant les lecteurs. C'est très cru et en même temps très doux, au plus proche de l'humain. Vous l'aurez compris, je n'ai pas pu résister aux mots de Cécile Ladjali qui sont d'une justesse remarquable, même si elle tombe parfois dans un ton un peu jargonneux, offrant alors un contraste saisissant avec les mots de Léo.

Au-delà des dimensions politique et poétique, je dirais qu'il y a aussi une dimension philosophique à ce livre. En filigrane et vraiment par petites touches se pose la question du langage et de l'accès au langage. Les mots, la lecture, l'écriture sont autant de possibilités qui nous sont offertes pour dompter la vie, pour apaiser ce qui nous fait souffrir ou ce qui nous inquiète (la mort, la maladie, le chagrin). Le langage est aussi un vecteur important dans la structuration de la pensée. Léo n'a pas tout ça, il n'a que l'oral, incapable de mettre des mots sur ses douleurs ou de s'évader par la lecture. Sa personnalité, il se la construit uniquement grâce aux bribes de choses qu'il entend ça et là, n'ayant jamais accès à l'implicite et aux non-dits. Cette interrogation sur le langage et sur le pouvoir des mots écrits semble être une constante chez cette écrivain, agrégée de lettres modernes et enseignante pour qui l'écriture revêt une grande importance, au même titre que la transmission. En plus d'un livre, j'ai découvert une femme de lettres dont j'ai déjà hâte de lire les autres écrits. 

Illettré est assurément le genre de livres à avoir dans sa bibliothèque. Moi qui l'ai emprunté pour cette lecture, je pense me l'offrir pour conserver une trace de ce Léo si touchant... 

D'un coup d’œil, les plus, les moins.

+ Les multiples niveaux d'interprétation de l'histoire (politique, poétique, philosophique).
+ Le personnage de Léo, d'une pureté incroyable.
+ La plume de Cécile Ladjali qui rend un bel hommage à Léo.

- Quelques termes jargonneux mais cela m'a permis d'apprendre plein de nouveaux mots.

Dernières infos.

Illettré a été publié en 2016 et compte 222 pages. Si vous souhaitez en savoir plus sur ce livre et rencontrer virtuellement l'auteur, je vous conseille cet extrait de la Grande Librairie où Cécile Ladjali présente son œuvre et cet autre extrait filmé par la librairie Mollat (grande librairie bordelaise).

Ma note.

2 commentaires:

  1. celui-ci. il me tente depuis un moment. et l'auteure semble avoir une plume singulière. il faudrait que je me penche dessus prochainement **

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Oh oui, je te le conseille ! J'ai vraiment beaucoup aimé ! La plume de Cécile Ladjali est parfois pompeuse mais ça ne m'a pas posé problème...

      Supprimer