dimanche 31 juillet 2022

10 minutes et 38 secondes dans ce monde étrange - Elif Shafak

En résumé.

Tout juste assassinée, Leila Tequila est jetée dans la benne à ordures, comme un vulgaire déchet. N'est-ce pas ce qui la caractérise aux yeux de la société turque, un déchet ? Elle qui était prostituée dans un quartier défavorisé d'Istanbul. Son corps gît au milieu des immondices, mais son esprit continue à travailler. Selon certaines études scientifiques, notre cerveau continuerait à fonctionner pendant 10 minutes et 38 secondes après notre mort physique, le temps pour la jeune femme de retracer ses souvenirs, depuis l'enfance jusqu'à son présent. Un parcours semé de faits horribles, comme l'arrachement à sa mère biologique, les agressions sexuelles de son oncle ou encore le mariage forcé. Toujours le poids des traditions et des superstitions qui ne l'a jamais quittée. Heureusement, Leila Tequila pourra compter sur l'amitié indéfectible de cinq personnes qu'elle rencontre au fil de sa vie. Ce seront les seuls à vouloir sauver l'honneur de la jeune femme en refusant qu'elle soit enterrée dans le cimetière des Abandonnés - cimetière qui existe réellement et qui regroupe en son sein tous les indésirés de la société.

Mon avis.

Je sais, ce n'est pas très correct, mais dans les transports en commun j'aime bien regarder ce que lisent les gens. C'est comme ça que j'ai découvert ce roman, mes yeux complètement attirés par la jolie couverture dont le camaïeu de bleu, rehaussé par quelques touches dorées, est très réussi. J'ai alors retenu le nom de l'auteur : Elif SHAFAK. Puis je l'ai un peu oublié pour en ré-entendre parler quelques jours plus tard. A cette occasion, j'ai découvert que cet auteur écrivait beaucoup sur la Turquie, son pays d'origine, dont elle dénonce les travers grâce à des œuvres de fiction mais tout de même inspirées de faits réels. C'est d'ailleurs le cas pour 10 minutes et 38 secondes das ce monde étrange. Ayant peu l'habitude de lire sur la Turquie, je me suis dit que ce serait l'occasion de réparer cet impair pour en apprendre davantage sur les mœurs contrastées de ce pays.

Le roman est organisé en deux parties : l'esprit et le corps. Ainsi, de façon assez logique, la partie "esprit" revient sur la vie de Leila telle qu'elle se la remémore alors que son cœur a cessé de battre. Chaque minute raconte une période de sa vie, de son enfance à sa vie de femme. La deuxième partie, "le corps" se situe après la mort de son esprit et est consacrée aux amis de Leila, et à la façon dont ils s'y prennent pour sauver à tout prix son corps afin qu'il ne repose dans ce cimetière des Abandonnés. 
 
J'ai trouvé que la qualité de ces deux parties était un peu inégale. Si la première partie est très intéressante et captivante, la seconde partie m'a parue infiniment longue, même si elle ne manque pas de rebondissements ni d'émotion. En réalité, j'ai lu ce roman pour Leila, pour connaître son parcours et sa vie. Durant toute ma lecture, je ne me suis jamais vraiment attachée à ce personnage mais j'ai apprécié découvrir à travers ses yeux la Turquie contemporaine. C'est un roman qui rend hommage aux femmes, mais aussi aux personnes qui sont jugées comme faibles ou indignes par la société de part de leur condition (prostituée, transexuelle, etc). On voit à quel les traditions volent à ces femmes l'occasion d'exister. Leila n'est jamais crue et aucune de ses décisions ne lui appartient véritablement, elle doit avant tout plaire aux hommes de la famille. Cette première partie est très émouvante, de part l'injustice des faits mais aussi de part la présentation de ses personnages secondaires. Binaz, la mère biologique de Leila, à qui on enlève sa fille, le frère handicapé de Leila, Sinan, son premier ami qui n'a rien de la virilité attendu par une société patriarcale, ses autres amies qui sont venues tenter leur chance dans ce pays, séduits par ce qu'on leur faisait miroiter, mais qui ont fini par se prostituer pour pouvoir continuer à vivre, aucun ne cadre avec le système, en cela ils sont reniés.

Je me suis tellement concentrée sur Leila et sur ces enjeux sociétaux que j'en ai un peu oublié ses amis. Si leurs parcours sont poignants à lire dans la première partie, je me suis un peu mélangée les pinceaux dans la seconde partie, lorsque l'intrigue se concentre sur eux. Ainsi, je pense que je suis passée à côté de leurs personnalités et cela a eu pour conséquence de moins me faire apprécier cette deuxième partie. Malgré les valeurs d'amitié défendues et qui éclairent le côté très sombre de ce roman, sa lecture m'a semblé interminable et un peu glauque, je dois le dire. On imagine la misère ambiante, ces personnages éclectiques qui se débattent avec ce qu'ils ont, la mort qui rôde et ce corps qu'ils déterrent. Ainsi, j'aurais préféré que la première partie empiète davantage sur cette seconde partie qui tient une place un peu disproportionnée par rapport au reste de l'intrigue. 

Voilà un roman poignant, sérieux et parfois ardu à lire de part la noirceur de certains passages. Il nous permet néanmoins de découvrir une partie de la Turquie qui tranche avec ses stations balnéaires à touristes. La beauté de certains personnages secondaires, tout comme les valeurs des amis de Leila viennent apporter quelques touches à un tableau très sombre dans l'ensemble, quelques notes d'espoir dans un monde inhumain.
Dernières infos.

10 minutes et 38 secondes dans ce monde étrange a été publié en 2019 pour la version originale et compte 385 pages.

Ma note.
Challenges.

Défi lecture 2022 : Consigne 31 - Livre dans lequel l'amitié tient une grande place.  - 24/100

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