samedi 14 août 2021

L'amie prodigieuse - Elena Ferrante

Tome 1 : L'amie prodigieuse

En résumé : Dans les années cinquante, dans un quartier défavorisé de Naples, Elena, la narratrice, et Lila vivent leurs premières expériences en tant qu'enfants puis en tant qu'adolescentes. Le fil rouge est leur amitié, assez particulière, avec une admiration sans faille d'Elena pour Lila, cette jeune fille qu'elle dépeint comme étant très vive d'esprit et d'un charme redoutable malgré sa maigreur. Dès leur plus tendre enfance, une compétition les anime. D'abord à l'école, où les deux jeunes filles excellent, mais seule Elena aura accès à un avenir prometteur. Puis avec les garçons, où cette fois-ci c'est Lila qui finira par prendre le dessus. Même si elles cherchent à s'en émanciper, leurs choix et leurs personnalités seront amplement guidés par le contexte socio-économique de l'époque. Ce quartier marqué par le pouvoir des hommes, la richesse de certains qui peuvent frimer en ayant accès aux biens de consommation des années d'après-guerre, mais aussi ces familles d’artisan qui commencent à être menacés par l'implantation d'usines promettant de produire plus, et à moindre coût. Dans ce contexte de mutation, les deux jeunes filles évoluent, tentant de trouver leur place l'une vis-à-vis de l'autre, des autres, dans ce quartier puis dans cette ville de Naples.
 
Mon avis : Un avis qui viendra compléter la liste déjà très longue des chroniques que l'on peut trouver sur le sujet, tellement cette saga a eu du succès, portée par le mystère qui entoure l'identité de son auteur. Comme pour beaucoup d'autres lecteurs, c'est ce succès qui m'a conduite à me procurer ce premier tome chez le bouquiniste, mais aussi le résumé et le côté historique dépaysant, à la fois dans l'espace (l'Italie, Naples) et dans le temps (les années cinquante). Comme j'ai pu le lire à droite à gauche, ce livre appartient peut-être au genre contemplatif. Il ne faut pas s'attendre à beaucoup de rebondissements ni à de grands suspense. Néanmoins, je ne me suis pas ennuyée une seule seconde. Si la première partie peut paraître un peu plus longuette car il est surtout question de la relation entre Lila et la narratrice, la deuxième partie file à toute vitesse, les deux jeunes filles grandissent et sont impliquées dans des histoires qui les dépassent, faisant intervenir plus de personnages. C'est une histoire d'une grande richesse. C'est d'abord le thème de l'amitié qui est exploré, une amitié fusionnelle, du moins du point de vue d'Elena, une amitié fondée sur des bases plutôt malsaines puisqu'il est question de compétition, de jalousie, d'envie d'être à la place de l'autre. Ce thème a quelque chose d'universel, chaque lecteur ou lectrice pourra se reconnaître soit dans la fonceuse Lila, soit dans la sage Elena. J'ai vraiment apprécié que l'analyse de cette amitié soit au cœur de l'intrigue. Si la relation amoureuse, ou filiale, est souvent une préoccupation des écrivains, c'est plutôt rare de voir la question de l'amitié aussi fouillée. Alors certes, ce n'est pas ce qui promet le plus de suspense mais c'est intéressant de lire à ce sujet et ça permet aussi de prendre du recul avec nos propres amitiés. Ensuite, il y a la question de l'évolution de la personnalité, la construction de sa propre identité, et de comment tout cela peut être influencé par un contexte. Si les deux amies ont des parcours plutôt similaires au départ, bien que différentes par leur caractère, on voit à quel point leur trajectoire est déterminante dans l'évolution de ce qu'elles sont. Cela atteint son paroxysme lors de la scène du mariage lors de laquelle Elena s'interroge sur le décalage qui existe désormais entre ce qu'elle est devenue, ses connaissances et ses compétences, et tous ces gens qu'elle côtoie depuis son enfance mais avec qui elle ne partage plus rien. Enfin, il y a tout le contexte socio-économique et l'ambiance propre à cette ville côtière du sud de l'Italie dans les années cinquante. La violence est beaucoup mise en avant quand je lis des résumés de ce premier tome. Or, je trouve que ce n'est pas vraiment ce qui caractérise ce quartier défavorisé. Bien sûr, il y a des règlements de compte entre clans rivaux mais ce sont plus la comparaison, la frustration de ne pas avoir autant que les voisins et les petits arrangements entre familles qui sont marquants. La place des hommes est primordiale à cette époque, Lila et Elena ne seront pas totalement libres de leurs mouvements et c'est ce qui va être intéressant d'observer dans les prochains tomes. Je me suis complètement immergée dans le quotidien des deux jeunes filles et j'ai tout plein de sensations qui me reviennent en tête à la simple évocation de ce roman. Le grand pouvoir de la littérature, faire voyager tout en restant dans son fauteuil ! Je crois que vous l'aurez compris, je suis vraiment enthousiasmée par ma lecture tellement elle fut incroyablement riche de part tous les thèmes abordés. J'ai hâte de découvrir les prochains tomes, ainsi que l'adaptation en série.

Ma note : 4/5.

Challenges.

* Défi lecture 2021 : Consigne 31 - Un livre contenant le mot bibliothèque (en dehors du titre) - 32/100
En 2021... Je voyage : Italie (+ 25 points)
 
Tome 2 : Le nouveau nom

En résumé : Alors que la fête bat son plein, Lila comprend que son tout récent mari, Stefano, l'a trahie en pactisant dans son dos avec son ennemi juré, Marcello, lequel arrive à son mariage avec aux pieds les toutes premières chaussures qu'elles avaient crées puis offertes à Stefano. Pour la catégorique Lila, cet affront est impardonnable. L'amour qu'elle portait jusqu'alors pour son mari s'enfuit au fur et à mesure que sa colère grandit. Devant sa froideur lors de la lune de miel, Stefano la violente pour parvenir à ses fins. Lorsqu'ils reviennent dans leur quartier, les traces des coups sont toujours visibles et tranchent vulgairement avec le luxe de leur nouvel appartement. Elena, la narratrice, observe avec beaucoup d'angoisse le chemin qu'emprunte son amie de toujours. Elle qui a toujours refusé d'être enfermée dans un moule se retrouve à jouer les épouses parfaites, bientôt patronne de la deuxième épicerie des Caracci, alors que dans le même temps s'ouvre dans le centre ville de Naples une boutique présentant les modèles de chaussures Cerullo. De son côté, Elena poursuit ses études au lycée bien que toute motivation l'abandonne, à mesure qu'elle voit Lila dépérir. Son seul réconfort est de s'imaginer aux côtés de l'intellectuel Nino qui est désormais à l'université. Malgré ces chemins qui s'éloignent, les deux amies se rejoignent le temps d'un été sur l'île d'Ischia. Lila, sur les conseils de son médecin, doit faire des bains de mer pour donner un enfant à Stefano alors qu'Elena rêve secrètement de fréquenter Nino qui passe également ses vacances là-bas. Seulement, les vacances ne se passeront pas comme prévues et vont venir perturber l'équilibre de la relation d'amitié entre Lila et Lenu.
 
Mon avis : J'ai pour habitude de laisser passer quelques mois entre la lecture de deux tomes d'une même saga mais L'amie prodigieuse fut une exception à la règle. Après avoir regardé l'adaptation en série du premier tome avec mon amoureux, je n'ai eu qu'une seule envie : entamer le second. Je dois avouer que je me suis complètement laissée convaincre par cette fabuleuse série et j'ai entraîné mon amoureux dans mon engouement, c'est donc ensemble que nous découvrons désormais le parcours de Lila et Lenu. Avec ce second tome, on entre directement dans le vif du sujet, emportés par la violence des rapports entre Stefano et Lila. Le pression redescend lorsque nous arrivons sur l'île d'Ischia. Bien que des rebondissements ont lieu durant cette période de vacances, on est de nouveau sur un registre plus contemplatif, puis le rythme s'accélère de nouveau une fois que les deux amis reviennent à Naples. Grâce à cet alternance de rythme, le suspense est ménagé jusqu'à la dernière ligne. Néanmoins, attention à ceux qui seraient en quête d'aventures. Comme je l'ai mentionné pour le premier tome, L'amie prodigieuse n'est pas un récit picaresque, où chaque page apporte son lot de bouleversements. On savoure plutôt chaque mot, chaque phrase qui nous permet de découvrir peu à peu tous ces personnages si merveilleusement disséqués. Ce second tome fut pour moi un véritable coup de cœur. Je pense que c'est la première fois qu'un roman me bouleverse autant dans ma chair, quitte à faire bouger les lignes de ce que je suis. Les mots d'Elena FERRANTE, au travers de Lenu et de sa façon de rendre compte de la vie et des gens m'ont apporté des réponses à certaines interrogations que j'avais, notamment sur l'amitié. C'est bouleversant de précision, renversant de sensibilité, époustouflant de justesse dans l'analyse psychologique des personnages. La plume d'Elena FERRANTE saisit chaque détail qu'il est important de saisir. Alors que ses personnages sont plutôt simples en apparence, elle parvient à les complexifier en analysant leurs intentions et en décelant en chacun d'eux quels sont leurs raisons d'être et de vivre. Le personnage qui se révèle à mon sens dans ce second tome est celui de Lenu. Du moins, c'est celui qui m'a le plus marquée, tellement certains de nos traits de caractère sont communs. Lila est toujours aussi présente, mais davantage en toile de fond, comme un élément qui plane sur Elena et qui façonne sa personnalité, au fur et à mesure des déceptions et des trahisons. L'Italie des années 60 est toujours aussi plaisante à découvrir. Bien que l'histoire des deux jeunes filles soit intemporelle, les décors offrent un dépaysement supplémentaire et sont indissociables de leurs évolutions. Les questions du patriarcat et du pouvoir des hommes sur les trajectoires des femmes sont omniprésentes, et c'est dans le souhait de s'émanciper de leur influence que Lila et Lenu puisent leur force. J'ai d'ores et déjà une furieuse envie de me plonger dans le troisième tome mais je vais essayer de résister, pour faire durer le plaisir le plus longtemps possible. Je sais néanmoins que je relirai souvent ces tomes, ne serait-ce que pour revivre cette impression grisante de se voir évoluer grâce à la littérature.

Ma note : 5/5.

Challenges.

* Défi lecture 2021 : Consigne 28 - Lire la suite d'un livre qui a été intégré au Défi Lecture 2021 - 45/100
En 2021... Je voyage : Italie (+ 5 points)

Tome 3 : Celle qui fuit et celle qui reste

En résumé : Nous voilà entrés dans la période intermédiaire, pour reprendre les termes de l'auteur. Lenu et Lila ne sont plus des enfants, ni des jeunes filles, elles deviennent femmes. L'amour, l'amitié, la maternité, autant de questions qui les traversent alors qu'un vent contestataire souffle sur l'Italie des années 60/70. Ces nouvelles revendications à la fois salariales et sociales amènent chacun à se positionner, et n'épargnent aucune classe sociale. Les choix des deux amies et la façon dont elles s'inscrivent dans ce nouveau mouvement les éloignent encore davantage. Si Lila est restée près de Naples, trimant dans une usine pour nourrir son fils Genaro, Elena s'enfuit à Florence où elle épouse Pietro Airota, fils d'éminents professeurs d'université. A l'éloignement géographique, s'ajoute la différence des modes de vie entre une Lila farouche qui n'a pas réussi à s'émanciper et une Lenu toujours sur la réserve mais qui parvient, à force d'un travail acharné, à se faire un nom dans les milieux intellectuels. Au fil des années, on voit avancer ces deux femmes qui luttent en permanence pour vivre en accord avec leurs convictions les plus intimes - convictions qui sont sans arrêt contrariées par l'évolution de la société.
 
Mon avis : Après le bouleversement procuré par la lecture du second tome de L'Amie Prodigieuse, je n'avais qu'une envie : entamer le troisième tome. Autant dire que mes ardeurs ont vite été refroidies par la teneur des premiers chapitres. Il est beaucoup question de Lenu et de son livre, comment celui-ci a été reçu par la critique, comme celui-ci lui a permis de trouver une place temporaire dans les milieux intellectuels qui deviennent sa seconde famille maintenant qu'elle a épousé Pietro Airota. J'ai trouvé ces passages plutôt longs, tout comme les passages sur la révolution des moeurs qui agitent l'Europe dans ces années-là. Autant l'aspect socio-économique m'intéressait dans les deux premiers tomes qui nous font découvrir le Naples des années 50, autant dans ce troisième tome, je ne me suis pas sentie emportée par les contestations sociales portées par les protagonistes que l'on suit dès le début, même si je sais que celles-ci sont déterminantes dans la façon dont Lila et Lenu vont se construire. J'ai en revanche été plus emballée par l'histoire de Lila, puis par l'évolution de Lenu et par ses désirs d'émancipation en fin de bouquin. La destinée de Lenu a quelque chose de fade, d'ennuyant - à l'image de ce que l'on ressent à la lecture de ce troisième tome. Elle qui était promise à un grand avenir semble perdre pied et s'enliser dans la routine, maintenant que les études ne sont plus là pour la valoriser. On sent comme une résignation chez elle, une docilité face aux injonctions sociétales qui lui tombent dessus : se marier, avoir des enfants, tenir sa maison. Toutefois, ce qui est intéressant, et ce qui fait toujours la force de cette saga, c'est l'analyse qu'elle peut faire de sa vie, tout en la comparant à celle de Lila. Même si les liens des deux amies ont tendance à s'étioler, ne serait-ce qu'à cause de la distance, on voit à quel point l'une se construit en fonction de l'autre, ce qui est particulièrement vrai pour Lenu, en qui Lila ne cesse de résonner. Si Lenu semble passive pendant la plupart du bouquin, jouant toujours le rôle de l'observatrice, on sent bien que la décision qu'elle prend à la fin du bouquin est le fruit de petites graines qui onté été semées dans les années précédentes, notamment par les revendications féministes qui se font de plus en plus entendre. Même si ce troisième tome m'a un peu lassée de part ces longueurs, j'ai encore cette fois-ci été époustouflée par la plume d'Elena FERRANTE qui dissèque ces personnages et la vie en général avec tellement de justesse et de précision. Séduite par le dénouement de ce troisième tome, j'ai hâte de me plonger dans le quatrième !

Ma note : 5/5.

Challenges.

* Défi lecture 2021 : Consigne 47 - Livre contenant plus de 80 chapitres - 21/100

dimanche 8 août 2021

La guerre de Troie n'aura pas lieu - Jean Giraudoux

En résumé.
 
Alors qu'Hector, fils du roi Priam, rentre dans sa ville de Troie après une guerre harassante, un autre conflit est en train de voir le jour. Son frère Pâris a subtilisé Hélène à la beauté légendaire aux Grecs et refuse de leur rendre. Les Grecs, menés par le rusé Ulysse sont sur le point d'arriver avec leurs navires flamboyants. Les troyens doivent donc trouver une solution sans plus tarder : se lancer, ou pas, dans une énième guerre qui promet d'être sanguinaire. Deux camps s'affrontent : d'un côté, les bellicistes avec à leur tête Pâris, Priam, Demokos et certains autres membres de la cité et de l'autre côté, les pacifistes dont le leader n'est autre qu'Hector, avec à ses côtés sa mère Hécube et sa femme Andromaque. Après de multiples joutes verbales entre les deux camps auxquelles participe Cassandre, qui a le don de prophétie mais qui n'est jamais crue, la guerre pourrait finalement être déclarée, mais pour des raisons autres que l'enlèvement de la mystérieuse Hélène...

Mon avis.

Il y a quelques mois, je me lançais dans la lecture de l'Iliade, avec le souhait d'explorer en parallèle d'autres œuvres qui ont repris le récit original en le simplifiant, ou en le réinterprétant, comme c'est le cas ici avec La guerre de Troie n'aura pas lieu. L'occasion aussi pour moi de me plonger dans la lecture d'une pièce de théâtre, genre que j'ai tendance à délaisser.

L'intrigue de cette pièce de théâtre se situe aux origines de la guerre de la Troie, thématique qui n'est pas traitée dans l'Iliade. Même si des textes anciens laissent à supposer que c'est l'enlèvement d'Hélène par Pâris qui est à la source de ce conflit qui dura dix ans, le champ de l'imagination est large, et Jean GIRAUDOUX en livre sa version personnelle. C'est une réinterprétation qui se veut moderne. De nombreuses références mythologiques côtoient des préoccupations plus actuelles voire universelles. Le thème principalement traité est évidemment celui de la guerre et des conflits armés. Il ne faut pas oublier que la première représentation de cette pièce a été donnée en 1935, pile dans l'entre deux guerres. Hector incarne la menace qui pèse sur les populations de l'époque : une guerre vient de s'achever laissant derrière elle des morts, des blessés, des familles en souffrance, du désarroi, des ruines à rebâtir, mais il faut déjà se préparer à une deuxième salve de combats, du moins là est l'analyse de GIRAUDOUX. Finalement, à quoi bon faire la guerre ? Est-ce une question d'orgueil ? Pourquoi se bat-on ? Est-ce que le jeu en vaut la chandelle, question qui fait écho à celles que se posent Achille dans l'Iliade lorsqu'il voit mourir par centaines ses coéquipiers. Hélène incarne ces questions : sa beauté vaut-elle une guerre, surtout que la passion qui l'unit à Pâris semble s'éroder. Une autre thématique qui souligne la modernité de la pièce est la place qui est réservée aux femmes. Si l'Iliade est avant tout une histoire d'hommes, de gros muscles et de virilité masculine, les femmes sont dans La guerre de Troie n'aura pas lieu mises en avant pour leur sagesse et osent exprimer leur avis. Ainsi, Andromaque et Hécube apparaissent comme des pacifistes acharnées, incarnant la souffrance de toutes ces mères, épouses, filles d'hommes morts pour défendre un territoire, une idéologie. Hélène, la grande absente de l'Iliade, est elle aussi un personnage principal. Elle apparaît un peu naïve, séductrice dans l'âme et on voit rapidement que ce serait déraisonnable de déclencher une guerre pour ce personnage si banal dans ses travers humains. 
 
Ces pistes de réflexion devaient être novatrices pour l'époque, surtout que la Seconde Guerre Mondiale n'est pas encore déclarée, GIRAUDOUX a donc été visionnaire et talentueux de dénoncer un acte de cet ampleur par la reprise d'un événement ô combien célèbre de l'histoire occidentale (même si on ne peut toujours pas affirmer avec certitude que cette guerre a bien eu lieu). Toutefois, la lire des décennies après, sortie de son contexte, m'a un peu laissée de marbre. Je l'ai lue dans une version augmentée, avec des éléments d'explications à destination de collégiens ou de lycéens. Cela m'a justement permis d'en saisir tous les enjeux. Sinon, je crois qu'il aurait été compliqué pour moi de déceler tous les effets de style de l'auteur. D'ailleurs, malgré les notes de bas de page, un bon nombre de références m'a échappé. Cela n'empêche pas d'avoir accès au gros de l'intrigue mais c'est toujours un peu frustrant de ne pas saisir l'ensemble des références qui sont faites à des figures de style ou éléments d'histoire. La structure est un peu poussive, j'ai fini par m'emmêler les pinceaux entre tous les personnages secondaires, difficile au bout d'un moment de savoir qui est partisan de la paix, qui ne l'est pas... Certains passages m'ont paru un peu longuet, mais peut-être parce que je n'ai pas su saisir le cœur de tous les messages. Je ressors de ma lecture un peu mitigée, mais toujours heureuse de découvrir un classique de la littérature (et ici du théâtre plus précisément) française.

Voilà une lecture qui change de l'ordinaire, qui peut être lue en deuxième intention, après avoir découvert les textes originaux de la guerre de Troie. Une réinterprétation des origines de la guerre, mais aussi l'occasion d'éclairer le contexte diplomatique des années 30. Très loin du coup de cœur mais pas inintéressant à lire, c'est très rapide qui plus est.
Dernières infos.
 
La guerre de Troie n'aura pas lieu a pour la première fois été jouée en 1935 dans une mise en scène de Louis JOUVET. La pièce en elle-même compte environ 140 pages.

Ma note.
Challenges.

* Défi lecture 2021 : Consigne 14 - Une pièce de théâtre - 31/100

lundi 2 août 2021

Le symbole perdu - Dan Brown

En résumé.

Le professeur de symbologie Robert Langdon est convoqué de toute urgence au Capitole pour y donner un discours sur les symboles de ce monument phare de la capitale des États-Unis, Washington. Le commanditaire n'est autre que Peter Solomon, ami de longue date de Robert, franc-maçon de haut-grade et à la tête d'une fortune qui l'a rendu célèbre. Robert atterrit en pleine nuit à Washington, ses feuilles de note tenant par miracle dans ses mains tremblantes d'émotion à l'idée de s'exprimer devant un parterre d'hommes riches et puissants. Seulement, lorsqu'il pénètre dans la Rotonde, aucun de ces hommes n'est présent, pas même son ami Peter. Non, seule une macabre mise en scène l'attend, une main gît en plein milieu de cette salle mythique du Capitole, un doigt pointé vers une peinture qui couvre le plafond. Le professeur, terrorisé par cette découverte sordide, ne tarde pas à reconnaître la bague qui orne un des doigts de la main, une bague à l'effigie des francs-maçons, une bague qui appartient à Peter Solomon... Le tout accompagné d'un message mystérieux. Il n'y a plus de doute, son compagnon de longue date est en danger. Une enquête qui mènera Robert Langdon et ses acolytes, ou ses détracteurs, aux quatre coins de cette ville pétrie de symboles, Washington.
 
Mon avis.

Le mois de Juillet étant placé sous le signe des Etats-Unis (challenge En 2021, je voyage.), j'ai eu envie de me plonger dans un nouveau Dan BROWN, après avoir lu quelques années plus tôt Anges & démons, et Da Vinci Code. Si ce troisième tome mettant en scène le désormais célèbre Robert Langdon tient ses promesses en termes de suspense et de rebondissements, il n'en demeure pas moins que sa structure suit trait pour trait celle des précédents tomes, donnant l'impression au lecteur que Dan BROWN peine à se renouveler.

On veut du thriller, on a du thriller, sans aucun doute. Méchant à la carrure imposante, check. Mises en scènes macabres, check. Meurtres originaux et pervers, check. Suspense, check. Course-poursuites, check. Mais cela ne fait pas tout, malheureusement. J'ai eu cette fâcheuse impression de relire mot pour mot Da Vinci Code. Seuls les lieux et la société secrète mise en avant changent. Sinon, c'est exactement la même structure : un Robert Langdon pris au piège mais dont les connaissances et l'esprit logique viendront à bout des plus grands secrets que le monde ait connus, il se fera aider par une femme incroyablement séduisante et intelligente, ici la sœur de Peter (dans Da Vinci Code, c'était la nièce de Jacques Saunière), un méchant au physique rebutant et effrayant, et bien sûr des sociétés secrètes, des énigmes dans tous les sens, des symboles, des messages cryptés, et des secrets en veux-tu en voilà. En dehors de ces répétitions qui finissent par nous lasser, on ne peut pas non plus compter sur un style d'écriture particulièrement travaillé. Le contenu est lui-même répétitif, Dan BROWN multiplie les questions, toujours les mêmes, sans vraiment nous apporter de réponses. On voit qu'il brode, brode pour nous maintenir en haleine mais ces paragraphes inutiles finissent plutôt par nous ennuyer. L'histoire aurait tout aussi pu être bouclée avec deux cent pages de moins, ce qui lui aurait peut-être permis de gagner en densité. On est face à un produit très codifié, largement marketing, comme si en littérature aussi, il suffisait de répéter les mêmes règles pour arriver au même succès.

Pour ce qui est du contenu, pas de miracle là non plus, on est toujours sur la même recette, les sociétés secrètes, ici la Franc-Maçonnerie, et le rapport entre croyances et science, avec ici la noétique mise en avant par Katherine Solomon. Pour ceux qui, comme moi, ne connaissent rien à ces thèmes, on finit toujours pas glaner quelques connaissances nouvelles par ci, par là, mais cette fois-ci, je n'ai pas vraiment su déceler l'objectif de l'auteur. Les explications sur les Mystères Anciens et sur ces secrets que Malak'h (le méchant) veut absolument percer m'ont laissée perplexe. Je ne suis pas sûre d'avoir tout bien compris car les envolées lyriques sont nombreuses, peu sensible aussi au pouvoir du sacré et au poids des anciennes générations qui auraient trouvé la clé pour permettre à l'homme de s'élever vers un niveau supérieur. Si ce thème n'a pas trouvé en moi un écho retentissant, j'ai davantage apprécié le jeu de piste qui nous conduit dans plusieurs coins de Washington. Ayant eu la chance d'y aller il y a quelques années, j'ai pu me remémorer quelques lieux marquants comme le Capitole ou le Washington Monument. C'est également intéressant de connaître quelques secrets qui entourent la construction de ces célèbres monuments, même s'il ne faut pas oublier que Le symbole perdu est avant tout une œuvre de fiction. Enfin, le dénouement est lui aussi un peu décevant. Contrairement à d'autres lecteurs, je ne l'ai pas vu venir mais j'ai trouvé que la toute fin était quand même tirée par les cheveux, avec un Peter Solomon privé d'une main et à bout de forces mais qui parvient quand même à guider Robert Langdon dans de nouveaux lieux, tout en lui expliquant les ultimes secrets. Mouais bof niveau cohérence du récit.

Voilà un thriller à la sauce américaine qui nous occupe pendant quelques jours mais qui contient plusieurs faiblesses, à commencer par la plus flagrante, celle d'être un bis repetita des deux premiers romans de Dan BROWN. Sa plume ne parvient pas à rattraper le tout, trop de lourdeurs, de relances tapageuses et de répétitions. Heureusement que le fond rattrape un peu la forme, même si bien des thèmes restent difficiles d'accès à des non initiés.  Si vous déjà lu du Dan BROWN, attendez-vous à être un peu déçu. En revanche, s'il s'agit de votre premier roman de cet auteur, peut-être serez-vous agréablement surpris par le suspense et par la documentation de l'auteur. Pour ma part, j'ai quand même la curiosité de me plonger dans les deux derniers tomes (à ce jour) de la "saga" Langdon, en espérant retrouver la bonne surprise que j'avais eue lors de ma lecture d'Anges & Démons.
Dernières infos.

Le symbole perdu a été publié en 2009 et compte 725 pages (format poche).

Ma note.
Challenges.

* Défi lecture 2021 : Consigne 56 - Un livre contenant un lien avec le tatouage : Malak'h (le méchant) est tatoué des pieds à la tête et l'ultime tatouage qu'il souhaite faire au sommet de son crâne est au cœur du récit - 29/100
En 2021... Je voyage : États-Unis (+ 15 points)

samedi 24 juillet 2021

Journal d'un jeune naturaliste - Dara McAnulty

En résumé.

Dara McANULTY est un jeune irlandais de quatorze ans passionné de nature. L'observation de la flore et de la faune, tout particulièrement des oiseaux, constitue pour lui un refuge, et c'est ce qui lui a permis, petit à petit, d'apprendre à gérer ses traits autistiques. Lorsqu'il apprend que ses parents comptent déménager à l'autre bout du pays, c'est une immense tristesse qui l'envahit. La tristesse de devoir quitter les coins de nature qu'il affectionne tout particulièrement et toutes ces espèces d'oiseaux auxquelles il doit dire au revoir. Pour se remettre de ce choc, il entame un journal qu'il remplit de souvenirs au fil des saisons. L'écriture lui permet de laisser une trace des émotions ressenties au contact de la nature et l'accompagne progressivement vers son nouveau chez lui. Elle lui permet également de se confier sur les difficultés qu'il peut rencontrer vis-à-vis des autres adolescents ou sur les combats qu'il mène pour sauvegarder la planète.

Mon avis.

J'ai découvert ce livre un peu par hasard, en parcourant le rayon des nouveautés de ma médiathèque. Très sensible aux questions environnementales, j'ai été séduite par le projet de cet adolescent qui semble être très engagé pour la sauvegarde des écosystèmes dans son pays. L'autisme est un autre thème qui m'intéresse et j'étais curieuse de savoir comment il a évolué, comment il est parvenu à faire cohabiter cette particularité et son engagement qui nécessite des représentations publiques, une mise en scène sur les réseaux sociaux, peu compatible avec l'inhibition sociale spécifique à l'autisme. Malgré toutes ces belles promesses et l'envie de me plonger dans le parcours de Dara McANULTY, j'ai vraiment été déçue par ma lecture. Je vous explique pourquoi sans plus tarder.

Cela me gêne de dire que j'ai été déçue par cette lecture, voire même que je ne l'ai pas appréciée. Il est important de préciser que je ne juge pas la parcours du jeune homme en question, dont je suis par ailleurs admirative, mais plutôt le livre en tant que tel. Parvenir à un tel niveau de prose à quatorze ans relève d'un talent indéniable, à tel point qu'on a l'impression d'avoir affaire à la plume d'un écrivain aguerri. C'est plus le contenu qui m'a laissé de marbre. Je me suis vraiment beaucoup ennuyée et j'ai eu le sentiment que cette lecture n'en finirait jamais. Le jeune homme s'attarde beaucoup sur ses observations de la faune et de la flore locales. J'ai eu des difficultés à me projeter dans ces descriptions. Ne connaissant ni les paysages irlandais ni les espèces d'oiseaux qu'il cite à de nombreuses reprises, je me suis sentie perdue, j'ai peiné à construire des images mentales assez efficaces pour me permettre de dépasser le fait qu'il n'y ait pas d'action, ni de fil rouge autre que le déroulé de ses pensées. C'est un livre qui se contemple, qui nécessite que l'on s'y connaisse un peu en zoologie pour en apprécier toute la saveur. Peut-être n'étais-je pas prête pour ce type de lecture contemplative, peut-être avais-je besoin d'une lecture plus dynamique, quoiqu'il en soit j'ai eu envie d'interrompre ma lecture à plusieurs reprises mais je suis tout de même contente d'être parvenue jusqu'au bout, ne serait-ce que pour rendre hommage à la belle personnalité de ce naturaliste en herbe.

Si j'ai été peu sensible aux longues descriptions qui constituent les trois-quart du journal, j'ai davantage apprécié les passages où l'auteur évoque son adolescence, les difficultés qu'il a pu rencontrer en tant que jeune autiste, mais aussi sa lutte pour préserver ces écosystèmes si fragiles. Ces passages sont le plus souvent assez courts, ce qui m'a frustré. J'aurais vraiment aimé en savoir davantage sur son parcours de militant, comment il est parvenu progressivement à se faire connaître de certains défenseurs de l'environnement célèbres dans son pays. J'ai également apprécié les passages où il décrit l’organisation familiale et comment sa mère, autiste également, a réussi à créer un cocon suffisamment protecteur pour que ses enfants puissent s'épanouir, comment elle leur a très vite proposé la nature comme remède à certains traits envahissants. C'est d'ailleurs très intéressant de lire la capacité de la nature à procurer de l'apaisement, à stimuler tout en proposant dans un second temps des havres de paix, calmes et reposants. Dommage que ces aspects ne soient pas davantage développés, peut-être qu'ils feront l'objet d'un prochain livre...

Par un souci d'équité vis-à-vis des autres livres que je chronique sur ce blog, je suis dans l'obligation de n'octroyer que deux fleurs à ce livre tellement l'ennui a été présent durant la totalité de la lecture. Il n'en demeure pas moins que je suis très heureuse d'avoir fait la connaissance de ce jeune homme à l'avenir prometteur et je n'oublie pas certains passages forts intéressants qui m'ont fait réfléchir à la prise en charge des jeunes autistes et au pouvoir inestimable de la nature. Si jamais vous aimez ce genre de lectures contemplatives, ou si vous êtes vous-même naturaliste, je vous encourage à vous plonger dans le journal de Dara.
 
Dernières infos.

Journal d'un jeune naturaliste a été publié en 2020 pour la version originale et compte 226 pages.

Ma note.
Challenges.

* Défi lecture 2021 : Consigne 99 - Un livre dans lequel on a appris un mot, une expression que l'on ne connaissait pas > un traquet (il désigne une espèce d'oiseau) - 27/100
En 2021... Je voyage : Irlande (+ 20 points)

samedi 17 juillet 2021

Apprendre à parler avec les plantes - Marta Orriols

En résumé.

Paula Cid est médecin dans le service néonatalogie d'un hôpital de Barcelone. Passionnée par son métier, son quotidien est surtout rythmé par ses heures de garde et ses petits patients qui demandent déjà beaucoup de soin et d'attention. Elle ne le voit pas venir ce jour fatal de Février, cette décision qui bouleversera sa vie, cette rupture après quinze ans de vie commune. Mauro a pris les devants, il décide de quitter Paula, sans lui avoir laissé de signes annonciateurs pour se préparer. Quelques heures après ce repas au restaurant qui a tourné au vinaigre, Mauro se tue dans un accident. En une journée, Paula passe d'un quotidien calme et routinier à des journées de tourment, de longues minutes à ne plus savoir où elle en est, des mois à ruminer cette double peine que le destin lui inflige. Comment digérer la séparation, la trahison, et le deuil. Sur qui prendre appui, ses collègues, son père veuf depuis de longues années, Lidia, l'amie qui a toujours été là, ou ces hommes de passage qui ne remplaceront jamais Mauro. Une année d'interrogations, de doutes, de peine, une année avant de prendre un nouvel envol.

Mon avis.

L'Espagne est à l'honneur ce mois-ci dans le challenge "En 2021, je voyage...". C'est donc en partie pour cela que je me suis dirigée vers ce livre de Marta ORRIOLS, auteure catalane. Comme bien trop souvent, j'ai aussi été attirée par cette couverture qui cadre plutôt bien avec la saison estivale, même si l'histoire qui nous est racontée ici n'a rien de léger ni de joyeux.

Avouons le franchement, le risque était de tomber dans le larmoyant et dans l'excès de pathos. Les enfants malades, le deuil, l'abandon, la séparation et l'infidélité, tout était réuni pour craquer devant la boîte à mouchoirs. Heureusement, Marta ORRIOLS a su choisir les mots et les situations pour déjouer tous nos pronostics. Certes, on ne se fend pas la pêche, mais on ne pousse pas non plus des cris de désespoir toutes les cinq minutes. On est plutôt sur le registre du mélancolique, de la nostalgie et de la compassion vis-à-vis de Paula, qui a tout perdu en quelques heures. Cette histoire pourrait arriver à n'importe qui malheureusement, et cette question surgit, que ferions-nous à sa place ? L'auteure est attachée aux détails, le quotidien est décrit avec beaucoup de soin, des scènes tout à fait banales sont rapportées ici pour ancrer son personnage principal dans un environnement classique, lambda, qui parle à chacun d'entre nous. C'est d'ailleurs ce qui a remporté mon adhésion, ce sentiment d'écouter une amie me parler de ses chagrins, de ses doutes et de ses peurs. Une amie qui n'oublierait pas chaque instant de vie, comme si chaque geste était empreint de la douleur de l'abandon. On marche vraiment sur un fil, on est dans une histoire très intime sans pour autant basculer du côté trash, où tout serait décrit à grand renfort d'exagérations.

J'ai principalement apprécié de voir Paula se reconstruire. Les thèmes du deuil, mais aussi de l'infidélité et du sentiment d'abandon qui en résulte sont explorés avec beaucoup de profondeur et de finesse. C'est vrai qu'il ne se passe pas grand chose, les rebondissements ne caractérisent pas ce roman, mais je ne me suis pourtant pas ennuyée. J'ai aimé suivre le cheminement de la pensée de Paula, j'ai aimé être spectatrice des micro événements qui lui ont permis de progressivement tourner la page. J'ai interprété ce livre comme un témoignage sur ces grandes peines de la vie, comment chacun peut essayer de s'en tirer. Alors que certains iraient piocher chez les autres l'énergie pour se reconstruire, Paula suit un chemin plus intérieur et solitaire. Elle nous montre que c'est en elle que les ressources sont à chercher et que cela passe par toute une palettes de réactions et de décisions incongrues mais qui poursuivent un même objectif, celui de se retrouver en tant que femme. Dans l'ombre de Paula, il y a aussi Mauro qui est un personnage omniprésent. Plus que Mauro, il y a cette histoire d'amour que j'ai trouvé très belle et très juste. Elle met en avant toutes les peines que peuvent rencontrer un couple : l'incompréhension, le manque de communication, l'éloignement qui peut s'installer sans qu'on lui donne un nom ni une date. La fin du roman est particulièrement belle et apporte encore un nouvel éclairage sur l'ensemble du cheminement de Paula.

Voilà une lecture qui nous offre un moment de pause, une immersion dans le parcours de vie d'une femme qui pourrait être n'importe qui. L'authenticité et la justesse de ce roman ne peuvent laisser indifférents et nous empêchent de tomber dans un sentimentalisme exagéré. Je vous conseille ce livre pour les derniers jours de l'été, quand la mélancolie nous gagne. Ce livre, bien que morose, peut apporter une forme de réconfort.
Dernières infos.

Apprendre à parler avec les plantes a été publié en 2020. Il compte 252 pages.

Ma note.
Challenges.

* Défi lecture 2021 : Consigne 93 - Un livre d'un auteur ayant écrit moins de cinq livres - 26/100
En 2021... Je voyage : Espagne (+ 25 points)

mercredi 14 juillet 2021

Toutes les histoires d'amour du monde - Baptiste Beaulieu

En résumé.

A la mort de Moïse, son fils et son petit-fils, Jean, mettent la main sur trois carnets contenant des lettres que le vieil homme a écrites tous les ans et qu'il a destinées à une mystérieuse Anne-Lise Schmidt. Cet homme bourru, discret et revêche révèle dans ces écrits une toute autre personnalité, plus sensible et altruiste, ainsi qu'un lourd passé dont il n'a rien dévoilé à ses descendants de son vivant. La découverte de ces lettres est un véritable choc pour Jean et son père, à tel point que ce dernier en tombe malade, malade de s'apercevoir que son père n'est pas celui qu'il pensait être. Au fil de la lecture des lettres, les deux hommes lèvent le voile sur la véritable vie de Moïse et retrace ses combats, ses joies et ses déceptions, marquées par les grands événements du XXème siècle. Afin de guérir le chagrin de son père, Jean lui fait la promesse qu'il retrouvera Anne-Lise et qu'ensemble, ils formeront cette nouvelle famille élargie, fruit du passé tumultueux de Moïse.

Mon avis.

Si j'avais déjà beaucoup entendu parler de Baptiste BEAULIEU, médecin généraliste connu notamment pour son blog Alors voilà dans lequel il raconte des anecdotes sur sa profession, je n'avais encore jamais eu l'occasion de me plonger dans ses romans. Celui-ci a été repêché par mon amoureux dans une boîte à livres, peut-être qu'il y retournera car de part son histoire il a vocation à voyager jusque dans les mains de cette mystérieuse Anne-Lise.

Car je ne le savais pas en entamant ma lecture, mais Toutes les histoires d'amour du monde est en réalité un livre autobiographique, ou biographique, je ne sais pas quel terme est le plus adapté. Si Baptiste devient Jean dans le livre, il n'en demeure pas moins que l'auteur est réellement tombé sur ces lettres à la mort de son grand-mère et qu'il est réellement à la recherche d'Anne-Lise. Ce côté véridique du récit confère quelque chose d'encore plus touchant à une histoire qui l'est déjà. Je suis une adepte de ces petites histoires qui s'inscrivent dans la grande, ces parties de vie qui ont d'héroïque le fait que leurs protagonistes se considèrent comme de simples mortels, des monsieur tout le monde, des gens de peu qui ont pourtant galéré, connu dans une seule vie deux guerres mondiales, qui ont eu peur, froid, faim, et soif de tisser des liens durables dans un contexte où les séparations étaient inévitables. C'est précisément la vie de Moïse, qui a en fait connu mille vies en une. La dernière consistait plutôt à taire toutes les autres, à faire comme si de rien n'était. Ces lettres sont un témoignage émouvant de la vie d'un homme qui n'a exercé que de basses besognes, un homme simple, qui pourrait être tous les hommes, mais dont le parcours et la façon de le narrer sont d'une sensibilité et d'une intelligence incroyables. Apparaissent dans ses lettres toutes les histoires d'amour du monde, celles qu'on tisse dans le cercle familial, celles qu'on entretient avec ses amis et celles évidemment qui concernent le plus intime. Un condensé d'universel au travers d'une blessure difficile à panser, celle d'avoir perdu son enfant.

Même si les femmes sont omniprésentes dans ce livre, je dirais que c'est quand même une histoire d'hommes, au fil de trois générations. Les questions de la transmission, du secret et de la relation père-fils sont partout. D'abord dans le relation de Moïse à son propre père puis à son fils. Puis dans le relation de Jean à propre père. On sent à chaque fois une certaine maladresse héritée des temps passés, une pudeur qui peine à être dépassée, une forme de gêne, l'envie de se faire confiance et d'avouer ses secrets sans pour autant oser le faire. Le récit est construit sur une alternance entre les lettres de Moïse et les réflexions du narrateur qui raconte comment il fait croire à son père qu'il s'est lancé à la recherche d'Anne-Lise alors qu'en réalité son projet consiste essentiellement à publier ce livre avec l'espoir qu'il parviendra un jour dans les mains de la recherchée, ou de gens qui l'ont connue. La découverte de ces lettres et du passé du grand-père permet en fait de réconcilier Jean et son père, de les faire cheminer vers l'acception de l'homosexualité de Jean, pourtant refusée par son père. Il s'agit donc d'un livre où le poids des générations et des non-dits est très fort, un roman à dimensions multiples, comme une poupée russe, où le lecteur dépiaute page à page les secrets des uns, le présent des autres pour arriver à ce qui les lie tous, l'amour filial.

Un énième roman sur les deux guerres mondiales me direz-vous. Certes, mais celui-ci contient un petit supplément d'âme du fait qu'il a été rédigé avec l'espoir de retrouver Anne-Lise, avec l'espoir aussi de réconcilier une famille et de retisser les liens père-fils mis à mal de génération en génération. Je vous encourage à découvrir l'histoire de Moïse, juste pour rendre hommage aux hommes du quotidien. De mon côté, peut-être vais-je remettre cette histoire dans le circuit des boîtes à livre afin qu'il touche encore un autre lecteur, peut-être celui qui connaîtra Anne-Lise Schmidt.
Dernières infos.

Toutes les histoires d'amour du monde a été publié en 2018 et compte 437 pages. Quelques photos figurent sur le blog de Baptiste BEAULIEU, Alors voilà., dans l'onglet #LOOKINGFORANNELISE. Bon à savoir, Baptiste BEAULIEU est également chroniqueur sur France Inter dans l'émission Grand bien vous fasse me semble t-il.

Ma note.
Challenges.

* Défi lecture 2021 : Consigne 33 - Un livre écrit par un homme à lire durant le mois de la fête des pères - 25/100

jeudi 1 juillet 2021

Jimfish - Christopher Hope

En résumé.
 
Par un beau jour de 1984, au large de l'Afrique du Sud, un jeune homme, complètement égaré, est repéré par un pêcheur. Ramené à port Pallid, il est présenté au chef de la police locale. A l'époque de l’apartheid, où la couleur de peau détermine la place de l'individu dans la société, le jeune homme fait figure d'exception car il n'est ni blanc ni noir. Le policier décide donc qu'il sera du côté des moins privilégiés, qu'il sera nommé Jimfish et qu'il travaillera pour lui en tant que jardinier. Jeune homme extrêmement naïf, Jimfish accepte toutes ces décisions sans broncher et se retrouve à entretenir la propriété de son "bienfaiteur", aux côtés de Malala le Soviet, un jardinier noir se revendiquant philosophe et communiste. Au fil des échanges, le maître jardinier tente de rallier son poulain apolitique à sa cause, notamment en l'amenant à ce poser cette question qui reviendra sans cesse : quel est le bon côté de l'histoire ? Loin de toutes ces préoccupations, l'ingénu Jimfish préfère plutôt tomber amoureux de la fille de son employeur. Lorsque ce dernier les surprend en train de se bécoter, Jimfish est contraint de fuir s'il veut échapper à la folie meurtrière du chef de la police. Commence alors un périple incroyable au travers de l'Europe et de l'Afrique entre 1984 et 1994, Jimsfish étant amené, toujours par le plus grand des hasards, à côtoyé les plus grands du monde d'alors avec cette interrogation qui ne le quitte pas : quelle est le bon côté de l’histoire ?

Mon avis. 

J'ai découvert ce roman à la faveur du challenge "En 2021.... Je voyage", le mois de Juin étant consacré à des lectures sud-africaines. Il m'a fallu un mois pour oser me lancer dans la rédaction de cette chronique, les impressions étant là, parfois un peu floues, mais je ne parvenais pas à les restituer à l'écrit. C'est un peu à l'image de ma lecture : des bonnes idées mais qui peinent à prendre de la consistance, une sensation de flou artistique, en partie due à la rapidité des chapitres mais aussi du fait du contenu très historique et politique, qui demande un minimum de connaissances pour saisir l'essentiel du message.

Jimfish n'est pas un roman comme les autres. En tout cas, ne comptez pas sur lui pour vous offrir une pause détente au bord de la piscine ou dans un hamac, à l'ombre des arbres. Véritable réinterprétation moderne du Candide de Voltaire, ce livre pourrait être classé au rayon des lectures donnant matière à réflexion. Christopher HOPE a choisi une période très dense du point de vue historique et politique. Les événements qui prennent place en cette fin de guerre froide nourrissent particulièrement bien les réflexions autour de cette problématique : quel est le bon côté de l'histoire ? A chaque fois qu'on découvre un nouvel événement avec les yeux de notre ingénu Jimfish, on ne cesse de le regarder avec ce nouvel éclairage : est-ce que c'est ça être du bon côté de l'histoire ? Tout y passe, Chernobyl, la chute du mur de Berlin, la fin des sociétés coloniales et l'avènement des nouveaux gouvernements africains. Jimsfish se retrouve toujours au plus près des dirigeants de l'époque ou au cœur des événements les plus tragiques, points de bascule qui ont participé à la formation de notre société contemporaine. Avec son regard naïf sur les situations, il pose les questions tabou, celles qui trahissent les véritables intentions des dirigeants de l'époque. J'ai vraiment apprécié ce fil conducteur, cette tentative de trouver le bon côté de l'histoire alors qu'en réalité il n'y en a pas. La décolonisation l'illustre à la perfection. D'un côté, les colons ne sont pas du bon côté de l'histoire pour toutes les raison qu'on connaît, mais d'un autre côté, se positionner du côté des nouveaux régimes africains mis en place n'est pas non plus le bon côté de l'histoire dans la mesure où ces régimes furent extrêmement violents et pas vraiment préoccupés par l'intérêt public.

Si j'ai donc été séduite par cette trame de fond, j'ai moins apprécié le reste de l'histoire. C'est vrai que je me suis quand même ennuyée pendant une bonne partie du livre. Je n'avais malheureusement pas toutes les connaissances historiques nécessaires à une compréhension pleine et entière de l'histoire. Je n'ai pas non plus tout compris dans le débat sur le communisme, il y a tellement de nuances à cette époque-là, car les pays et les dirigeants en adopte parfois des pistes différentes. Je ne me suis pas attachée au personnage de Jimfish, ni aux autres. Même si le procédé sert l'objectif de l'auteur de nous amener au plus près des événements pivot, j'ai été lassée par ces hasards successifs qui placent toujours Jimfish en première ligne. C'est un peu grossier au fur et à mesure qu'on avance dans le récit. Les transitions sont aussi un peu bancales, on passe très vite d'un pays à un autre sans forcément comprendre tous les tenants et aboutissants. Même si l'argumentation est intelligente et rigoureuse, j'ai quand même eu la sensation d'une lecture décousue, peut-être aussi parce que j'ai lu quelques pages par ci, quelques pages par là. Pour bien saisir tous les enjeux des aventures de Jimfish, je pense qu'il est nécessaire de vraiment se poser pour les lire et les laisser décanter.

Une déception partielle pour ce livre complexe sur le fond mais simple sur la forme. Voilà un récit intelligent, argumenté, documenté qui demande du temps pour se l'approprier et en comprendre tous les enjeux. Pas une lecture divertissante donc, plutôt une réflexion sur la façon dont s'est construit notre monde contemporain, avec ce désir sous-jacent de toujours trouver sa place et de se situer du bon côté de l'histoire. Malgré toute la frustration que je ressens, je ne suis pas sûre de si vite y revenir.

Dernières infos.

Jimfish a été publié en 2017 et compte 208 pages.

Ma note.

Challenges.

* Défi lecture 2021 : Consigne 77 - Un livre qui s'inspire d'un autre livre, réécriture, réinterprétation, remake - 24/100
En 2021... Je voyage : Afrique du Sud (+ 15 points)