dimanche 9 septembre 2018

Les fils conducteurs - Guillaume Poix

En résumé.

Alors qu'il visite une exposition au Musée d'Art et d'Histoire de Genève, Thomas, photographe, est happé par le cliché de deux mains enchevêtrées qui reposent sur un cercueil. Il ne le sait pas mais ces mains appartiennent à Jacob et Ama, qui viennent de perdre leur père, leur mari. A court d'argent, ils sont contraints de quitter leur campagne du centre du Ghana pour rejoindre la capitale, Accra. Le temps passe et emporte avec lui l'espoir de trouver du travail. Comme pour beaucoup d'autres ghanéens, l'ultime solution est la décharge d'Agbogbloshie. C'est dans ce lieu que des milliers de bateaux viennent déposer les déchets électroniques provenant du monde occidental, des Etats-Unis mais aussi de l'Europe. Isaac et Moïse initient Jacob à la "fouille", cette activité éminemment dangereuse qui consiste à désosser les déchets pour trouver des matériaux précieux, qu'ils revendent pour se faire un peu d'argent. Entre fumées toxiques, morts prématurées, trafic, l'obsolescence programmée tue chaque année des hommes et des femmes qui doivent accepter le pire pour survivre. Thomas, qui ambitionne de suivre le chemin de ces déchets, du port Hambourg au port d'Accra croisera la route de Jacob et subira à son tour le prix de nos inconsciences.

Mon avis.

Cela faisait un bon bout de temps que ce livre me faisait envie. Je l'ai découvert grâce à la chronique, une fois de plus magistrale, de Lola sur le blog A l'horizon des mots. Etant préoccupée par le devenir de notre planète mais aussi par les inégalités qui ne cessent de se creuser entre les Hommes, le titre et la quatrième couverture de ce livre m'ont tout de suite parlé. De la décharge d'Agblogboshie, je ne connaissais rien. Je savais simplement que nos déchets, qui plus est, électroniques, contenaient des substances dangereuses qui n'étaient pas forcément recyclées et qui pouvaient être déversées dans les sols et les fleuves de pays dont tout consommateur n'à que faire. Je savais également que des enfants, plutôt que d'aller à l'école, fouillaient les immondices, à la recherche de matériaux rares dans des conditions sanitaires absolument déplorables. Ce livre, en mettant des visages et un quotidien derrière ces faits que l'on oublie vite, m'a conforté dans mes convictions. Il fait partie de ces livres que chaque citoyen, chaque consommateur devrait lire.

Sa grande force est de se situer entre le roman et le documentaire. Roman parce que l'on suit des héros qui nous crèvent le cœur, parce qu'on est embarqués dans une histoire, parce que l'on a envie de savoir ce que vont devenir Moïse, Isaac, Jacob et Ama, parce que les faits sont mis en musique par un chef d'orchestre talentueux. Documentaire parce que le cadre de cette histoire est tristement réel, parce que la décharge d'Agbogbloshie existe bel et bien, ainsi que ces hommes et ces femmes qui la fréquentent tous les jours, parce que la capitale est effectivement polluée à un degré extrême, parce qu'il est certain que nos déchets électroniques - smartphone, télévision, bouilloire, cafetière, appareil photo, écran d'ordinateur, fer à repasser, frigo - finissent leur vie à Accra. La plume de Guillaume Poix est exquise. Elle rend à ces personnages sales et malades toute leur grâce. Elle parvient même à rendre nos déchets esthétiques. On a l'impression d'assister à un ballet, les bateaux qui vont et viennent, les danseurs qui font aller leurs doigts fragiles pour dépecer les trésors, les grands méchants qui viennent casser le rythme d'une danse si bien organisée. Le paradoxe est saisissant : on hésite entre l'affreuse laideur de la situation et la beauté des mots pour la décrire, ce qui finit par la rendre encore plus cruelle. Le rythme est soutenu, on alterne les récits, entre celui de Thomas et ceux des acteurs d'Agbogbloshie, les images dans notre tête se succèdent, à vive allure, on tourbillonne, on se demande, on s'agace, on s'insurge, on se révolte, jusqu'à l'envie de vomir.

Ce livre était bien parti pour ravir les cinq étoiles... Jusqu'à ce que la fin vienne tout gâcher, le moment où Thomas entre en scène et rencontre Jacob. Je ne vous dévoile par tout, pour préserver la surprise. Toujours est-il que je n'ai vraiment pas compris pourquoi ajouter un mal qui n'était pas nécessaire et qui finalement n'apporte pas grand chose à l'essence du message. Je me suis même sentie mal à l'aise, ces dernières pages ont changé la perception que j'avais des personnages, m'obligeant à revoir ma copie. J'accorde malheureusement une importance primordiale aux dénouements qui colorent à mon avis une histoire, la rendant plus lumineuse ou plus sombre. Guillaume Poix n'a pas su ajuster ses pinceaux à ce moment précis, c'est dommage, car le reste du livre est absolument parfait.

Je vais donc m'en tenir aux quatre fleurs, mais je vous encourage vivement à vous procurer ce livre, à le lire en long, en large et en travers. Certes, les images ne sont pas toujours faciles (on est loin du conte avec des chevaux en pâte d'amande et des cœurs pailletés) mais c'est une lecture utile, citoyenne et incroyablement bien narrée.

D'un coup d’œil, les plus, les moins.

+ Le thème du livre : le devenir de nos déchets électroniques, la décharge d'Agbogbloshie au Ghana.
+ La plume de l'auteur, fantastique, qui décrit la situation avec beauté et cruauté.
+ Les personnages qui soulignent les ravages de l'obsolescence programmée.

- Le dénouement, que je n'ai pas compris et qui m'a semblé inapproprié.

Dernières infos. 

Les fils conducteurs a été publié en 2017 et compte 224 pages. Guillaume Poix a été l'invité du Mag de l'été, diffusé sur France Inter, l'été dernier, pour la sortie de son livre. Voici le lien vers l'interview. Aussi, si ce thème vous intéresse, je vous conseille ces épisodes de l'émission Cultures Monde, diffusés sur France Culture, dont le thème est "Les nouveaux délinquants environnementaux". On y retrouve la question des déchets, mais aussi le trafic d'ivoire, la pêche illégale ou encore la déforestation illégale. Enfin, si vous souhaitez en savoir davantage sur Agbogbloshie, vous pouvez visionner La tragédie électronique de Cosima Dannoritzer, qui a également réalisé Prêt à jeter, sur le même thème. Ces deux documentaires ont été diffusés sur Arte.

Ma note.

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