dimanche 4 avril 2021

Les larmes noires sur la terre - Sandrine Collette

En résumé.

Il aura fallu un enchaînement de tristes hasards pour précipiter Moe dans le désespoir le plus profond. La rencontre avec cet homme qui l'encourage à quitter son île, Tahiti, pour échouer en banlieue parisienne. La violence et les reproches, les petits boulots éreintants qui ne lui permettent même pas d'être autonome financièrement, une nuit d'infidélité au cours de laquelle son enfant sera conçu. Puis la fuite du domicile, pour échapper à la violence, quelques jours passés chez cette femme qui la rejette à son tour. Tout ça pour échouer dans cette ville misérable, La Casse, un amoncellement de voitures pourries devenues maisons pour ceux qui n'ont plus un sous, ceux qui sont seuls, ceux pour qui le mot "avenir" ne fait plus parti de leur langage. Des véhicules-taudis à perte de vue, la drogue, la prostitution, le travail aux champs payé quelques centimes. C'est dans cet environnement que Moe élèvera son enfant, bien trop triste pour lâcher quelques larmes. Heureusement, quelques rayons de soleil, les yeux de ses voisines, Marie-Thé, Poule, Jaja, Ada la vieille et Nini-peau-de-chien. Des femmes aussi désœuvrées que Moe mais dont l'humanité est toujours intacte. Ensemble, elles font la promesse de se serrer les coudes, pour le meilleur et pour le pire.

Mon avis.

Un livre que j'ai découvert en parcourant la bibliothèque d'une amie aux goûts très sûrs. Aimant les histoires un peu déviantes et aux ambiances sordides, je me suis précipitée dessus, certaine qu'il remporterait mon adhésion. J'ai eu la chance que la médiathèque l'ait dans ses rayonnages. Aussitôt repéré, aussitôt emprunté, aussitôt dévoré.

Il faut avoir le cœur solide pour affronter cette lecture éprouvante. On ressort de là lessivé, broyé, déshumanisé, heurté par le comportement effroyable des hommes. Une ambiance glauque et très sombre pèse sur l'ensemble du roman, un sentiment d'oppression nous saisit à chaque page tournée, on se demande quand cela va s'arrêter, et pourtant ça monte crescendo. L'écriture de Sandrine COLLETTE est incisive, précise, pas de superflu, pas de mot pour heurter directement la sensibilité, mais plutôt de l'implicite, une atmosphère noire et démoralisante qui s'installe progressivement, le déballage de cet ensemble de hasards qui ont conduit à la pauvreté la plus extrême, tout ça tellement réel. On ne sait quasiment rien du passé de Moe, comme si celui-ci était trop heureux pour avoir sa place ici, comme si la jeune femme était désormais tellement prise dans une spirale aliénante que ce qu'elle est au fond ne compte plus. Évanouis les cocotiers, les mers turquoises et les plages de sable blanc, la réalité contraste durement avec ces images pleine de couleurs et de chaleur.

L'essentiel du récit porte sur le quotidien de Moe dans son quartier de La Casse et ses tentatives pour fuir cet univers hors du temps. Un univers entièrement fabriqué par l'auteur, mais dont le réalisme nous effraie, et si ce décor horrifiant prenait place dans quelques années ? Je me suis d'ailleurs renseignée au début de ma lecture pour savoir si tout ça n'était déjà pas une réalité. Le symbole d'une société à bout de souffle dont on commence déjà à voir les contours. L'humain réduit à ses plus vils instincts, des animaux presque, prêts à tout pour survivre dans ce contexte si aliénant et déshumanisant. La présence des autres femmes vient apporter quelques touches de lumière à cette histoire sordide. Mais cela est de courte durée, car on voit à quel point elles ont également été marquées par la vie et plongées elles aussi dans un désespoir qui ne connaît pas de limite. En fait, la luminosité vient de leurs valeurs, auxquelles elles s'accrochent alors que tout pourrait les dévier de la morale. Un message d'espoir, même dans les pires configurations, la solidarité et l'entraide, voire l'amitié perdurent chez certaines personnes. Un mot enfin sur l'enfant, ce bébé que Moe tardera à nommer tant elle essaie de le mettre à distance de toute cette misère, comme si le traiter en objet lui permettrait de ne pas voir tout ça, et lui garantirait un avenir meilleur. Là aussi, l’attitude de Moe vis-à-vis de l'enfant injecte une part de sordide à l'intrigue, l'amour mère-fils étant mis à rude épreuve, il s'agit déjà de survivre avant de parler d'amour.

Une lecture qui n'est pas anodine, dans laquelle on doit se plonger avec prudence car elle peut heurter. Heureusement que j'ai pu l'entrecouper par des journées de travail pour penser à autre chose car son côté très sombre peut vite nous atteindre. Une fois le livre refermé, j'ai eu une grande envie d'une histoire légère, même niaise pour atténuer l'émotion douloureuse des Larmes noires sur la terre.
Dernières infos.

Les larmes noires sur la terre a été publié en 2017 et compte 336 pages.

Ma note.
Challenges.

* Défi lecture 2021 : Consigne 55 - Un livre dont le titre contient une expression grammaticale de localisation (sur) - 11/100
En 2021... Je voyage : France (+ 10 points)

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