samedi 27 février 2021

La commode aux tiroirs de couleurs - Olivia Ruiz

En résumé.

Suite au décès de sa grand-mère, une jeune femme hérite de la commode de cette dernière. Un meuble massif, qui en impose de part ce qu'il refoule du passé, un meuble aux neuf tiroirs, chacun arborant une couleur différente. La jeune femme prend le soin de dépiauter chaque compartiment, effleure du bout des doigts chaque objet, parcourt chaque morceau de papier pour enfin comprendre le passé de la défunte et jeter la lumière sur les secrets de famille tus depuis tellement longtemps. Une famille d'immigrés ayant fui la guerre civile d'Espagne alors que Franco s'emparait progressivement de chaque centimètre carré de leur territoire. La "abuela", cette femme à la fois si fragile et si forte, livre un à un ses mystères, depuis le départ de sa terre natale à la naissance de sa petite-fille, en passant par les histoires d'amour qui ont jalonné son existence mais aussi les désillusions, les malheurs et les difficultés à se faire une place dans son nouveau pays.

Mon avis.

J'ai toujours eu pour Olivia RUIZ une forme de sympathie. Déjà parce que nous sommes toutes les deux nées le même jour, à douze ans d'intervalle. Ensuite parce qu'elle a longtemps été la compagne de Mathias MALZIEU auquel je voue un vrai culte. Enfin parce que j'ai toujours apprécié son originalité et l'énergie qu'elle a mise dans ses premiers albums. J'étais donc pressée de la découvrir en tant qu'écrivaine. Autant vous le dire tout de suite, je n'ai pas été déçue du voyage et j'espère déjà qu'elle publiera très vite un nouveau roman.

Voilà un premier roman surprenant et presque déroutant. Son genre est difficile à identifier, puisqu'il se situe entre l'autobiographie et la fiction. Si Olivia RUIZ partage avec la narratrice un certain nombre de points communs, comme le fait d'être issue d'une famille qui a fui la guerre civile espagnole, d'autres faits sont purement inventés. Dans les interview qu'elle a donnés lors de la promotion de son livre, elle a pu expliquer que ses grands-parents ont toujours été secrets sur leur passé, et que cette histoire est en quelque sorte ce qu'elle aurait aimé qu'on lui dise, les femmes qu'elle décrit étant des symboles de courage et de liberté. J'ai vécu ma lecture comme une découverte des origines d'Olivia RUIZ alors qu'il faut garder en tête que tout cela est un peu romancé, même si le destin de Rita, la fameuse "abuela" est très certainement similaire au destin de milliers d'autres petites filles qui ont tout quitté pour se construire une nouvelle identité en France. Ce roman se conte à deux voix. La jeune femme s'exprime pour l'épilogue et le prologue, mais l'essentiel du corps du texte est conté par la grand-mère, chaque chapitre s'arrêtant sur un tiroir ouvert et un objet dévoilé. Le récit est assez court puisqu'il fait moins de 200 pages. C'est à la fois frustrant car on se sent tellement bien aux côtés des personnages qu'on a envie que ça dure le plus longtemps possible, mais cela permet d'un autre côté d'avoir un récit dynamique, sans aucune longueur.

C'est le deuxième roman que je lis sur le thème de la guerre civile espagnole, après avoir découvert Une dernière danse de Victoria HISLOP l'été dernier. Décidément, c'est un thème qui me parle et qui me plaît toujours autant. L'histoire de Rita m'a beaucoup émue et j'ai dû retenir mes larmes plusieurs fois au cours de ma lecture. Ce n'est en aucun cas un roman larmoyant ou tire-larme, mais le simple fait de s'attacher à ces personnages si humains et si simples dans leur façon d'être ne peut que nous provoquer une vive émotion. Le parcours de Rita est à son image, digne, courageux, mais aussi précaire et fragile.  L'écriture d'Olivia RUIZ sert à la perfection ces personnages à la fois si vifs et si vulnérables. Malgré l'émotion qui m'a tenaillée jusqu'à la dernière page, les images qui me viennent immédiatement en tête lorsque je repense à ma lecture sont très colorées, une sensation de chaleur m'envahit, le soleil de Narbonne, le sourire de ces femmes déracinées, leur accent réprimé mais ayant conservé une forme d'impertinence, une musique joyeuse type guinguette et des décors des années 40/50, l'insouciance, voire la naïveté, le charme suranné de cette époque. Bien sûr, en toile de fond, il y a l'histoire avec un grand H, à l'origine de tous ces maux mais ce livre se concentre avant tout sur la petite histoire, celle des gens ordinaires et celle de ces femmes qui ont parfois dû mettre leur orgueil et leurs sentiments de côté pour continuer à vivre et donner du bonheur à leur descendance.

Je ne savais pas si je pouvais placer ce livre dans la catégorie des coups de cœur, mais une telle émotion à la lecture d'un livre n'arrive pas tous les jours, alors je dois m'avouer vaincue face au talent d'Olivia RUIZ et à la qualité de ce premier roman. J'espère qu'il inaugure une longue suite à venir... D'ici là, courez chez votre libraire ou dans votre médiathèque de quartier et lisez sans plus tarder La commode aux tiroirs de couleurs !
Dernières infos.

La commode aux tiroirs de couleurs a été publié en 2020 et compte 198 pages.

Ma note.

Challenges.

* Défi lecture 2021 : Consigne 82 - Un livre d'un auteur qui est né durant le même mois que vous - 6/100
En 2021... Je voyage : France (+ 10 points)

samedi 13 février 2021

"Arrête avec tes mensonges" - Philippe Besson

En résumé.

1984. Philippe, adolescent brillant, formaté pour de grandes études, fils d'instituteur, quelques amis et les autres qui lui jettent des "pédales" à la figure dans la cour de récréation. Philippe, attiré par un grand ténébreux, solitaire voire mystique, Thomas Andrieu. Le premier qui admire le deuxième, tout en sachant qu'il ne se passera jamais rien. Pourtant, Thomas choisira le bon moment pour dire à Philippe quelques mots, une invitation dans un bar reculé de la ville, loin des regards. Des rendez-vous se multiplieront, dominés par l'attirance sexuelle qui existe entre les deux hommes, pas beaucoup de mots, simplement les corps qui s'expriment. Ça y est, l'amour est là, mais il faut se taire, car l'homosexualité est un sujet tabou en ce début des années 80. Puis l'été arrive, chacun obtient son Bac, l'un part pour l'Espagne, l'autre pour Bordeaux, déjà tourné vers un avenir radieux. Une séparation qui ne sera jamais digérée. Un être que l'on a aimé et que l'on ne voit plus. Quelques années plus tard, Philippe aura des nouvelles de Thomas, d'une façon totalement inattendue. Un premier coup de massue, et plusieurs autres qui suivront.

Mon avis.

Je pense que c'est la première fois depuis très longtemps que je rédige la chronique d'un livre alors que je viens de le terminer. C'est dire s'il m'a bouleversé. L'envie d'écrire à chaud, de dire combien j'ai aimé ces quelques pages, combien j'ai été emportée par cette partie de vie de Philippe BESSON alors que je ne m'y attendais pas du tout. Pour rien ne vous cacher, j'ai ouvert ce livre un peu au hasard, ne sachant pas de quoi il parlait, il trônait depuis des années sur mes étagères, acheté sur un coup de tête dans une recyclerie, juste parce qu'il avait été très médiatisé à sa sortie. J'aime être surprise de la sorte, un coup de cœur littéraire presque accidentel mais ô combien plaisant !

L'auteur, Philippe BESSON, plutôt habitué des romans de fiction, se livre ici à un genre nouveau, celui de l'autobiographie. Pour une première, il attaque fort, puisque ce qu'il livre ici est de l'ordre du très intime, son orientation sexuelle, et plus particulièrement cet amour de jeunesse qui est en fait l'amour d'une vie, une rencontre qui ne se produit qu'une fois et qui laisserait des traces dans chacun de ces romans. Le livre est court, je ne sais pas si cela sert ou dessert son projet. D'un côte, je trouve que c'est la longueur idéale pour nous toucher en plein cœur, quelque chose de vif, de rapide, d'incroyablement percutant. D'un autre côté, j'aurais tellement aimé passer plus de temps avec ces personnages. On est presque blasé de les côtoyer si peu de temps alors qu'ils sont si prometteurs. Mon seul bémol va à l'auteur lui-même, dont j'ai perçu à certains moments une fausse pudeur, quelques vantardises dans le propos, peut-être un coup marketing, mais cela reste fugace et peut-être que je me trompe, tout n'est qu'affaire d'interprétation. 

Le premier point fort de ce roman est très certainement cette histoire d'amour passionnelle, charnelle, voire même spirituelle, et ses corollaires qui font très vite leur apparition : le doute, le manque de l'autre, la séparation, la jalousie. Tout cela est rendu plus compliqué par les tabous sociaux qui imposent à Thomas de vouloir garder une extrême discrétion quant à sa relation avec Philippe. Le deuxième point fort est le personnage de Thomas que j'ai trouvé absolument magnifique. Un homme ordinaire, qui n'est pas médiatique contrairement à l'auteur, un lycéen devenu paysan, un homme qui a grandi avec sa pudeur, la peur du qu'en dira t-on, qui s'est empêché beaucoup de choses et qui n'a pas réussi à dépasser ses propres barrières et les limites qu'il s'est imposé. C'est un personnage de tragédie, si beau, on devine ses tourments, les faux-semblants qu'il a construits les uns après les autres et à quels points ceux-ci se sont avérés destructeurs. Plusieurs fois au cours du récit, je me suis retenue de ne pas pleurer, émue jusqu'au trognon par cette histoire si pure et si belle et ce personnage à la fois si vrai et si complexe. Cela faisait des lustres que je n'avais pas eu envie de verser une larme lors de la lecture d'un bouquin. C'est dire l'intensité du récit et de la plume de l'auteur.

Une lecture incroyablement rapide, mais qui laisse des traces, et que je relirai assurément. J'ai désormais une furieuse envie de lire la bibliographie de Philippe BESSON, à la recherche des petits bouts de Thomas qu'il a disséminé ça et là. Peut-être relire aussi pour la troisième fois L'arrière saison, avec ce regard neuf, maintenant qu'il a livré les clefs pour comprendre l'ensemble de son oeuvre. Vraiment, vous pouvez y aller les yeux fermés !
Dernière infos.

"Arrête avec des mensonges" a été publié en 2017 et compte 159 pages.

Ma note.
Challenges.

* Défi lecture 2021 : Consigne 11 - Livre LGBTQIA* - 4/100
En 2021... Je voyage : France (+ 15 points)

dimanche 7 février 2021

Marcher droit, tourner en rond - Emmanuel Venet

En résumé.

L'homme qui se livre dans ces quelques pages est atteint du syndrome d'Asperger, une forme d'autisme. A l'occasion de l'enterrement de sa grand-mère, décédée la veille de ses cent ans, il s'érige contre tous les faux-semblants qui jalonnent notre existence, ces légendes qui entourent la mort d'un être cher, ces discours qu'on écrit pour lui rendre hommage, que l'on embellit pour cacher la triste vérité, celle d'un être comme les autres, qui a fauté et dont la vie n'a pas été aussi glorieuse que l'on voudrait bien le faire croire. L'homme qui se livre ici aime l'honnêteté et la justesse, et ne peut pas rester de marbre face à ces inepties qui sont débitées sur cette femme dont on pourrait croire qu'elle fut une sainte de son vivant. Il écrit pour dire la vérité, sur sa vie à lui, sur son entourage, pour parler de ses passions aussi, le Scrabble, les crash d'avions, et l'amour de sa vie, Sophie Sylvestre.

Mon avis.

Un très court roman emprunté sur un coup de tête à la médiathèque dans la panière des "coups de cœur" des bibliothécaires. Outre le fait que j'aime bien découvrir des livres qui ont été appréciés par d'autres, l'autisme est un thème que j'apprécie en littérature et sur lequel j'ai déjà lu, les conditions étaient donc réunies pour que je parte à la découverte de Marcher droit, tourner en rond.

Si comme moi, vous vous posez la question, je vous le dis tout de suite, ce livre n'est pas une autobiographie. L'auteur, Emmanuel VENET est psychiatre, et de part sa fonction, j'imagine qu'il connaît on ne peut mieux la psychologie et les réactions des personnes Asperger. Ce récit, de fiction, est tout à fait réaliste et on peut aisément imaginer qu'il est autobiographique. Pas de chapitre pour prendre des pauses, le tout est livré en bloc, comme s'il s'agissait d'un monologue que l'on ne pouvait entrecouper, un flot de paroles ininterrompu pour parler de tout, mais surtout des artefacts que l'homme met en place pour protéger son ego, pour se construire une vie sociale et pour avancer dans la vie de façon à peu près sereine. Ces artefacts atteignent leur paroxysme lors des discours de décès, où le défunt est très souvent érigé en héros, détenteur de nobles qualités, droit dans ses bottes, et n'ayant jamais fait une seule entorse à ses valeurs et convictions. Le narrateur s'emploie à démonter une à une ces paroles qui rassurent, en comparant ce qui se ressort de ses discours et la vie réelle de sa grand-mère, si humaine dans ses péchés. Il passe également au vitriol les mœurs dissolus des membres de sa famille, avant de s'épancher sur sa vie à lui, cette fascination pour l'honnêteté, la justice, et son absence de maîtrise des codes sociaux. Il parle aussi de cet amour platonique pour une fille rencontrée au lycée, qu'il finit par harceler. Il ne comprendra pas par la suite ce qui lui sera reproché lorsque la fille aura porté plainte.

J'ai aimé la franchise des propos et me suis souvent reconnue dans certaines de ses réflexions. Il dit tout haut ce que l'on pense bien souvent tout bas. Mention spéciale pour les conversations de secrétaire, telles que je les appelle, ces dialogues qui n'en finissent par autour des fringues, des enfants, des restaurants en vogue et des vacances passées à l'autre bout de la planète, ces conversations dont je ne perçois pas bien l'intérêt et qui me comblent d'ennui, tout comme lui. Ce récit n'aborde pas l'autisme en tant que tel, il est plutôt une plongée dans le raisonnement d'une personne autiste et sa façon de concevoir des événements du quotidien, en décalage permanent avec ce qui est attendu d'un raisonnement d'une personne dite "normale". J'ai également aimé le réalisme des personnages, on se croirait dans sa propre famille, et cela fait du bien de lire sur des gens du quotidien, auxquels on peut s'identifier. Cette impression rejoint celle que j'avais eue suite à la lecture d'Avant que j'oublie d'Anne PAULY, roman également publié chez les éditions Verdier. Ce récit d'une jeune femme qui a perdu son père m'avait frappé par sa simplicité, tout comme ce livre. Malgré ces points positifs, cela reste un roman très court, et même si j'ai pris beaucoup de plaisir à le lire, je ne suis pas sûre de m'en souvenir bien longtemps. Il fait partie de ces livres vite lus et vite oubliés. Néanmoins, je ne regrette pas du tout ma lecture, et suis contente d'avoir croisé la route de cet homme atypique mais souvent très juste dans ses propos.

Un livre que je conseille pour qui a envie d'un récit rapide mais avec de la mâche, et pour qui souhaite se plonger dans la psychologie des personnes présentant le syndrome d'Asperger. Si jamais vous croisez la route de ce roman, marchez droit et ne tournez pas en rond pour entamer les premières pages.
Dernières infos.

Marcher droit, tourner en rond a été publié en 2016 et compte 128 pages.

Ma note.
Challenges

* Défi lecture 2021 : Consigne 23 - Un livre provenant d'une maison d'édition du pays dans lequel on vit - 3/100
En 2021... Je voyage : France (+ 20 points)