lundi 31 octobre 2022

Petit pays - Gaël Faye

En résumé.

Gaby grandit au Burundi, petit pays de l'Afrique de l'Ouest possédant une frontière commune avec le Rwanda. Gaby, fruit du métissage entre un père français et une mère rwandaise a une enfance heureuse : des parents qui le protègent, une petite sœur qu'il adore, ses amis de l'impasse avec qui il fait les quatre cents coups et ses jours d'école pendant lesquels il écrit à sa correspondante française. Au fur et à mesure des mois puis des années, ces bonheurs d'enfance vont s'effacer pour laisser place au monde cruel des adultes. La séparation de ses parents, la guerre civile qui éclate au Burundi très vite suivie par le génocide rwandais transforment la vision qu’a Gaby du monde. Bien qu’encore jeune, il doit composer avec la peur, l'insécurité qui l'habite en permanence mais aussi l'incompréhension devant ce monde qui change autour de lui.

Mon avis.

On ne présente plus Gaël FAYE, auteur-compositeur-interprète, rappeur et écrivain. Son premier roman Petit pays a fait grand bruit lors de sa parution en 2016, et a obtenu le Prix Goncourt des Lycéens. Cela fait un moment que j'avais envie de le lire, mais je trouvais toujours d'autres lectures à faire passer en priorité. Maintenant, c'est chose faite, je comprends mieux pourquoi ce roman a été et est encore un succès des librairies.

Durant toutes ces années, j'ai entendu dire que ce roman portait sur le génocide rwandais. Je m'attendais donc à lire une autobiographie relatant l'histoire de Gaël FAYE, mais aussi à en apprendre un peu plus sur cet événement historique dont la cruauté a marqué les esprits. Finalement, j'ai été surprise de n'avoir rien de tout cela. Peut-être que l'intrigue est très largement inspirée par la propre histoire de l'auteur, mais ici les faits sont signés Gaby. Dans la première moitié du livre, il est avant tout question de son enfance au Burundi, pays qui a recueilli sa mère lorsque le Rwanda a connu ses premières crises. Son quotidien est narré avec l’innocence propre à l’enfance, mais les mots employés et le raisonnement tiennent parfois à la lucidité propre au monde des adultes. La tension monte crescendo au fur et à mesure que les crises politiques se succèdent. L’atmosphère joyeuse de ce quartier de Bujumbara laisse progressivement la place à une ambiance délétère, les visages se transforment, les gens s’enferment chez eux pour s’abriter des tirs des différents clans. Dans les dernières pages, l’horreur de la guerre, ses conséquences psychologiques sur ceux qui ont perdu leurs proches nous frappent particulièrement. En seulement 200 pages, c’est un virage à 360° que l’auteur opère, pour bien faire apparaître la complexité humaine avec d’un côté l’insouciance préservée de l’enfance et d’un autre, la barbarie la plus totale qui est capable de surgir à tout moment.

Contrairement à l’image que j’avais de ce livre, l’objectif de l’auteur n’est pas de retracer les événements de la crise politique burundaise, ni ceux du génocide rwandais d’un point de vue historique, mais plutôt de les raconter comme il les a vécus. Ainsi, on n’a très peu d’éléments détaillés sur les causes réelles des conflits, ni sur les forces qui s’opposent, on se concentre davantage sur les émotions du narrateur et sur la façon dont il perçoit les changements qui s’opèrent autour de lui. Ainsi, les enfants avec qui il a rigolé, avec qui il a volé des mangues, avec qui il a fait des petites bêtises, ont pris les armes. Eux qui étaient décrits comme des chefs de gang plutôt naïfs sont devenus de véritables chefs de guerre avec pour seule volonté la protection de leur quartier. Ces enfants ont dû grandir en quelques jours, alors que les coups d’état ne leur laissaient pas de répit, alors qu’il fallait choisir un clan pour survivre. Gaby, observant toute cette violence s’emparant de ses amis, a quant à lui choisi les mots, les livres qu’il empruntait chez sa voisine grecque. Alors que le monde s’écroulait autour de lui, il a choisi ce moment pour découvrir de nouveaux univers et se laisser happé par le pouvoir de la littérature. Les mots face aux armes, en voilà un combat noble. Si j’ai mis du temps à m’installer dans cette histoire, j’ai été très émue par les dernières pages. L’horreur décrite, ce que devient la mère de Gaby, la mesure de ces événements atroces sont difficiles à lire mais donnent à ce roman toute sa valeur dramatique. On referme ce livre en se disant que de tels meurtres ne devraient plus se reproduire, d'autant plus pour des raisons aussi futiles. Pourtant, la guerre, charriant avec elle son lot de drames, ce sentiment d’insécurité si difficile à supporter, a encore cours dans plusieurs parties de notre monde.

Voilà une lecture très émouvante. Plus que le génocide rwandais ou la guerre civile burundaise, Gaël FAYE explore les ravages de la guerre sur l’enfant qu’il a été mais aussi sur ses proches. Même si l’action prend place dans deux pays africains marqués par l’instabilité politique, les mots de l’auteur ont quelque chose d’universel. La façon dont son univers a basculé peut concerner chaque être humain, à partir du moment où il se sent menacé. Un roman à lire, d’autant plus qu’il peut être vite dévoré en quelques heures d'un après-midi pluvieux.
Dernières infos.

Petit pays a été publié en 2016 et compte 224 pages. Il a obtenu le Prix Goncourt des Lycéens la même année.

Ma note.
Challenges.

Défi lecture 2022 : Consigne 85 - Livre qui contient une référence au terrorisme ou à un attentat  - 35/100

dimanche 16 octobre 2022

Comment font les gens ? - Olivia de Lamberterie

En résumé.

Âgée de 54 ans, Anna fait le point sur sa vie. Editrice, toujours en accord avec les auteurs qu'elle publie, elle se sent depuis peu oppressée par sa nouvelle chef qui souhaite donner la plume à ces nouvelles stars, les influenceuses. Anna est aussi la mère de trois filles, une très grande qu'elle a eu avec un papa qui a pris la fuite et les deux autres qu'elle a eues avec son mari actuel, un anglais bon chic bon genre. Partagée entre les souvenirs faits d'histoires lues au bord du lit, de baisers dans le cou aux odeurs de bébé et le présent constitué plutôt de reproches, de revendications et de portes qui claquent, Anna ne sait plus trop quoi penser de la maternité. A cela s'ajoute l'infidélité de son mari, un homme sur lequel elle pensait pouvoir compter et pour qui les sentiments étaient toujours aussi forts. Il y a aussi sa mère qui l'a élevée seule, portée par les revendications féministes bien avant l'heure, et qui désormais perd la boule dans son EPHAD. Et puis il y a le COVID, les catastrophes climatiques, les réseaux sociaux, l'injonction à réussir sa vie, à être heureuse et forte, à être toujours aussi pimpante. Le temps d'une journée, Anna fait le point sur sa vie, sur tout ce qui va ... et ne va pas.

Mon avis.

Bien souvent, je me pose cette question. Comment font les gens ? Pour tout mener de front : le travail, une vie sociale et affective, les enfants, les tâches ménagères, les courses, les passions, les réseaux sociaux, l'organisation des activités et des vacances. Sans être bousculés par les questions du monde. Cette question lancinante, comment font les gens pour avancer, pour se relever, pour croire que demain sera toujours meilleur ? Mon amoureux a pensé, à juste titre, que ce roman au titre évocateur pourrait me plaire, qu'il m'apporterait peut-être un début de réponse à cette question à la fois si simple et si compliquée. Malheureusement, j'ai trouvé un décalage trop grand entre la promesse véhiculée par le titre et la quatrième de couverture et le contenu. Je ressors de ma lecture avec une impression mitigée. Dans tous les cas, je n'ai toujours pas de réponse à ma question : comment font les gens ?

Lorsqu'on tourne les premières pages de ce roman, on pénètre dans un tourbillon, emportés par les pensées d'Anna qui tournent, tournent et ne voient jamais de fin. Le roman est ainsi construit : une succession de réflexions qui s'enchainent les unes aux autres, parfois avec un fil conducteur, parfois sans. Aucun chapitre ne vient casser ce flot incessant de pensées. En quasiment trois-cents pages, seule une journée de la vie d'Anna est narrée, une journée dont les événements, mineurs, occupent finalement peu de place. L'intrigue, si c'en est une, est davantage portée sur la vie d'Anna, ses regrets, ses peurs, ses projections. Tout y passe, de sa vie professionnelle à sa vie privée, de sa vie de maman à celle d'amie et d'amante, les petits tracas du quotidien comme les grandes réflexions sur la société dans laquelle elle évolue. Cette sensation de flot de pensées ininterrompu est assez bien représentée, on touche du doigt ce qu'on appelle la charge mentale. En une journée, Anna doit gérer la préparation du dîner pour sa fille qui a une grande nouvelle à lui annoncer, elle doit aller travailler (avec tout ce que ça implique en terme de charge mentale), elle doit aller rendre visite à sa mère dont l'EHPAD ne veut plus, elle doit s'occuper des devoirs de ses filles, tout en traitant ses propres états d'âme, à savoir sa vie de couple qui est sur la sellette. Autant de tracas du quotidien auxquels il faut faire face dans l'instant, sur fond d'un coup de déprime qui amène la quinquagénaire à tout remettre en cause. 

Si j'ai été sensible à cette façon de décrire et mettre en scène la charge mentale, j'ai en revanche été moins séduite par le personnage d'Anna dans lequel je ne me suis pas reconnue. Si pour moi aussi, les journées sont marquées par des pensées qui ne cessent de tourner en boucle, je ne me suis pas retrouvée dans les préoccupations d'Anna. Avec un écart d'âge de plus de vingt ans, pas d'enfants de mon côté, vivant en province, travaillant dans un tout autre secteur que celui de l'édition, je n'ai quasiment aucun point commun avec elle, si ce n'est d'être une femme. Je trouve que l'auteur peine à rendre son message universel, j'ai eu l'impression qu'elle écrivait ce roman pour une catégorie de lecteurs bien précise, à savoir des femmes qui ont la cinquantaine, qui vivent à Paris, qui ont un train de vie plutôt aisé, avec des enfants et des parents qui perdent la boule. Si on ne se reconnaît pas dans ces critères, on passe un peu à côté de l'histoire. Le côté parigo-parisien des beaux quartiers m'a clairement agacée, comme si seules les parisiennes avaient accès à la littérature. Un autre bémol à cette lecture est très certainement son côté trop optimiste. On sent Anna sur un fil, très contrariée, fatiguée aussi, mais le dénouement reste très lumineux, alors que les trois quarts du roman crient haut et fort qu'elle est en train de perdre toute forme d'espoir. A la question "Comment font les gens ?", j'aurais tendance à répondre qu'ils n'ont pas le choix, qu'ils se dépatouillent comme ils peuvent, que la vie n'est peut-être pas aussi rose que dans les pubs, surtout en ce moment. Or, la fin du livre insinue que la vie repart pour Anna, comme si les questionnements qui l'ont occupée pendant une journée étaient simplement balayés par une bonne nouvelle. Je trouve que c'est un peu simpliste, digne du roman feel-good, tout va mal, une bonne nouvelle et ça repart. Ainsi l'auteur propose de plonger dans le quotidien de la vie d'une quinquagénaire, mais je ne crois pas qu'elle réponde, même partiellement, à cette question que se pose son personnage, Comment font les gens ?

En somme, une lecture mitigée, qui n'a clairement pas tenu ses promesses. Vue la quantité de bouquins proposée sur les étals des librairies ou dans les rayonnages des médiathèques, je ne sais pas si se pencher sur celui-ci vaut le coup. J'irais peut-être plutôt tenter ma chance ailleurs.
Dernières infos.

Comment font les gens ? a été publié en 2022 et compte 271 pages.

Ma note.
Challenges.

Défi lecture 2022 : Consigne 83 - Une scène où un personnage prend soin de lui et de son apparence physique : coiffeur, parfum, maquillage, spa, massages...  - 33/100

dimanche 2 octobre 2022

Le prince des nuages - Christophe Galfard

J'ai découvert Christophe GALFARD avec "L'univers à portée de main", roman de vulgarisation scientifique qui porte sur les connaissances que nous avons sur le cosmos et sur les lois qui régissent la physique, dans l'infiniment petit et dans l'infiniment grand. Intéressée depuis très longtemps par l'univers, mais aussi par les questions environnementales, j'ai eu envie de prolonger ma découverte de l'auteur en me plongeant dans la lecture de cette trilogie jeunesse dans laquelle il promet de l'aventure mais aussi la compréhension des phénomènes naturels qui nous entourent et qui sont essentiels à notre survie sur Terre.

TOME 1 : Le Blueberry

En résumé : Que les journées sont longues pour Tristam Drake qui s'ennuie ferme à l'école ! Il faut dire que les questions d'altitude, de couleur du ciel ou de formation des nuages lui passent carrément au-dessus de la tête. Lui, ce qu'il aime, c'est l'aventure, explorer les recoins du Blueberry, ce nuage construit à la hâte au-dessus d'un volcan pour cacher Myrtille, la fille du Roi des Nuages du Nord que le Tyran a détrôné. En attendant que le Roi, entré dans la résistance, reprenne ses fonctions, sa fille vit dans ce village un peu particulier, hébergée dans la famille de Tom, ami de Tristam et jeune garçon intelligent, très curieux des phénomènes naturels. Seulement voilà, le Tyran, avide de pouvoir, finit par retrouver la trace de Myrtille et met la main sur le Blueberry. Seuls Tom et Tristam parviennent à s'échapper alors que les autres habitants sont faits prisonniers. Les deux amis s'enfuient vers d'autres contrées, déjà tombées dans les mains du despote. C'est alors qu'ils comprennent la volonté de cet homme cruel : semer le chaos sur Terre en bouleversant le climat.

Mon avis : De prime abord, l'intrigue de ce roman jeunesse n'a pas grand chose de révolutionnaire : les gentils qui se battent contre le méchant, plein de bonnes intentions saupoudrés d'un peu d'amitié. C'était sans compter l'imagination de l'auteur qui fait voyager le lecteur dans l'atmosphère et qui recréée tout un univers dans les nuages. Ainsi, on rêve à des décors douillés, où les personnages côtoient les lumières du ciel et du soleil. Je trouve que cette intrigue est efficace pour un jeune public. J'ai juste été un peu perdue vers le milieu/la fin du livre lorsque les personnages s'enfuient vers les autres nuages. Une carte n'aurait pas été de trop pour situer les lieux les uns vis-à-vis des autres, ainsi qu'un petit récapitulatif des différents personnages car entre ceux qui sont dans l'opposition, ceux qui jouent double-jeu, et ceux qui sont des partisans du Tyran, on finit par s'y perdre un peu. Mais c'est aussi peut-être dû au fait que j'ai lu ce roman de façon trop fractionnée, quelques pages dans le train, une ou deux pages avant de dormir, et voilà, je ne suis plus concentrée sur l'histoire et j'en oublie les principaux rebondissements. Néanmoins, la grande plus-value de ce livre est les données scientifiques apportées par l'auteur. Déjà, je trouve habile de sa part de proposer une histoire sur le réchauffement climatique tout en expliquant les phénomènes météorologiques nécessaires à l'équilibre terrestre. Pour comprendre en quoi quelques degrés supplémentaires peuvent bouleverser ce fragile équilibre, il faut d'abord comprendre comment interagissent le soleil, la Terre, l'atmosphère et les éléments (l'eau...). Ainsi, le récit est émaillé de notes scientifiques (très accessibles) répondant à certaines questions sur le fonctionnement de notre planète et sur tous les phénomènes naturels que nous pouvons observer. Je suis vraiment une adepte de cette démarche qui allie connaissances scientifiques et fiction. Je trouve que c'est un moyen intéressant pour sensibiliser les jeunes lecteurs aux bouleversements climatiques à venir, tout en leur faisant comprendre les subtils mécanismes qui sont à l'œuvre. Ce roman permet également d'appréhender le changement climatique comme une arme de guerre, ce qui est le cas car plusieurs morts et destructions vont découler des bouleversements déjà en cours et à venir. Voilà donc un premier tome prometteur qui nous permet de prendre conscience de la beauté de la Terre (et des mécanismes qui font qu'elle est habitable) mais aussi des menaces qui pèsent sur elle (activité humaine qui est à l'origine du réchauffement climatique). Seule l'intrigue aurait pu être un peu plus développée, mais n'oublions pas que cette trilogie s'adresse avant tout à un jeune public.

Ma note : 3/5

Challenges :
Défi lecture 2022 : Consigne 88 - Roman jeunesse (respectant les règles du défi).  - 32/100