samedi 13 mars 2021

Sublime royaume - Yaa Gyasi

En résumé.
 
Chercheuse en neurochirurgie, Gifty tente d'expliquer, au moyen de ses expériences sur des souris de laboratoire, les mécanismes neurologiques sous-jacents aux phénomènes d'addiction et de dépression. La jeune femme n'a pas choisi ces sujets par hasard. Issue d'une famille originaire du Ghana, mais née aux États-Unis, elle est depuis son enfance confrontée aux cycles dépressifs de sa mère et à l’addiction de son frères aux opioïdes, ces fameux médicaments anti-douleur qui ont tué des milliers d'Américains. Alors qu'elle avance dans ses recherches, elle doit accueillir chez elle sa mère qui connaît une rechute et qui reste prostrée dans son lit nuit et jour. Ce nouvel épisode dépressif rappelle à Gifty son enfance très marquée par la foi religieuse de sa mère, les sautes d'humeur de cette dernière, l'absence de son père, la popularité de son frère Nana puis sa descente aux enfers. A travers ces souvenirs, elle cherche à expliquer la femme qu'elle est aujourd'hui, panser les blessures pour aller de l'avant, trouver suffisamment de force et de courage pour supporter le chagrin abyssal de sa mère.

Mon avis.

J'ai emprunté ce livre à la médiathèque un peu sur un coup de tête, séduite par sa couverture aux couleurs vives mais aussi par la réputation de Yaa GYASI qui a connu le succès avec son premier roman No home, que je n'ai pourtant pas lu jusqu'à présent. C'était aussi l'occasion de découvrir un nouvel auteur originaire du continent africain, toujours dans l'optique de diversifier mes lectures. Ce livre, bien que triste et désarmant, fut une agréable surprise.

C'est vrai qu'il faut avoir un moral d'acier lorsqu'on entame ce roman. La couverture, si belle et si vive, et ce titre prometteur offrent un contraste saisissant avec le contenu. Il s'agit en fait d'une introspection, qui dure plus de trois cent pages, une analyse de ce qui a été et de ce qui est, des causes et des conséquences. L'ensemble du récit est construit sur des alternances entre passé et présent, épousant la forme d'une spirale. Gifty déroule progressivement le fil de sa vie, puis le casse, revient au présent, puis continue quelques pages plus loin à le dérouler, pour s'arrêter sur des points de détail qui pourraient en fait expliquer la détresse de cette famille brisée. Ainsi, même si l'on reste sur un récit à la première personne parfois pesant, l'ensemble reste dynamique, on est plongés au cœur de cette analyse psychologique, voire philosophique, très fine, complexe et menée avec beaucoup de rigueur. Les alternances entre passé et présent sont bien construites, de sorte que je ne me suis jamais sentie perdue. Même s'il n'y a pas de suspense, puisque Gifty résume dès les premiers chapitres ce qu'il est arrivé à sa famille, on a pourtant envie de tourner les pages pour découvrir avec précision quels sont les éléments qui ont mené à de tels drames.

J'ai trouvé que le personnage de Gifty n'était pas véritablement attachant. Bien qu'elle ait dû surmonter de nombreuses épreuves qui ne peuvent que toucher le lecteur, elle reste difficile à cerner. En même temps, cette complexité du personnage montre à quel point il a été travaillé par Yaa GYASI. C'est un personnage empli de nuances, ni blanc, ni noir, constamment partagé entre ses valeurs, et notamment la place de la religion dans sa vie, et ce qu'elle est devenue au fil des années, une jeune femme ayant choisi de se tourner vers les sciences et donc vers une approche plus "rationnelle" des êtres et des choses. Quoiqu'il en soit, elle se pose des questions de fond, obsédée par cette envie de comprendre ce qui peut amener une personne à ne plus sortir de son lit, ne plus éprouver de plaisir pour quoique ce soit, et ce qui peut amener quelqu'un d'autre à tomber dans une forme d'addiction. Ainsi, les thèmes de la religion et de la science, ainsi que leur opposition, sont omniprésents et Gifty finit par leur donner un même dessin, celui de comprendre l'Homme et de trouver des raisons à des comportements irrationnels. D'autres thèmes sont également présents, comme celui du déracinement, ici du Ghana pour rejoindre les Etats-Unis, ou encore celui de la place des personnes noires immigrées dans la société américaine. Il est aussi question des relations filiales, et de la famille au sens large, comment les non-dits, les décisions prises à la hâte peuvent engendrer de la rancœur, jusqu'à aller au désespoir. L'auteur saisit ainsi dans ces quelques pages toute la complexité d'une situation, il n'y a jamais qu'une seule cause, les drames sont toujours d'origine multifactorielle.

Il s'agit donc d'un texte riche, posant de nombreuses questions et offrant au lecteur le cheminement d'une pensée, d'un raisonnement. L'action est apportée par la narration de la vie de cette famille éclatée, des êtres finalement banals mais au destin douloureux et complexe. A lire si jamais vous aimez ces romans à une seule voix, attention cependant à être dans une humeur de champion...
Dernières infos.

Sublime royaume a été publié en 2020 et compte 371 pages.

Ma note.
Challenges.

* Défi lecture 2021 : Consigne 86 - Un livre dans lequel une marque est citée (M&M's p.97) - 8/100
En 2021... Je voyage : Ghana (+ 25 points)

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