Il y a quelques années, les biocarburants - ces carburants issus du végétal (maïs, soja, canne à sucre et autres plantes destinées initialement à l'alimentation) - sont apparus comme la solution idéale pour palier la pénurie imminente de pétrole. Ils seraient moins chers, auraient un impact nul sur l'environnement et nous délivreraient enfin de notre dépendance aux pays producteurs de pétrole, en l'occurence les pays du Moyen-Orient. En voici la vitrine. Pour savoir ce qui se passe dans l'arrière boutique, il faut faire confiance à Fabrice Nicolino, journaliste d'investigation et spécialiste des questions environnementales, pour faire la lumière sur ce que signifie vraiment l'utilisation de biocarburants. Ils seraient en fait l'occasion pour les industries agrochimiques de conquérir de nouveaux marchés pour refourguer pesticides et autres engrais, de déboiser des zones autrefois réservoirs de biodiversité, et d'affamer les pays les plus pauvres par l'élévation du coût des végétaux nécessaires à la confection de biocarburants. L'auteur s'attaque à tous ceux - lobby, membres du gouvernement, sénateurs, députés, écologistes, industriels, scientifiques - qui ont contribué à rendre possible ces carburants présentés comme révolutionnaires et aux mécanismes dont ils ont usés pour en arriver là.
Mon avis.
Si vous avez déjà lu les chroniques que j'ai écrites il y a quelques temps sur d'autres essais de Fabrice Nicolino, vous saurez que je suis absolument en admiration devant ses travaux. Vous saurez également que toutes les questions relatives à l'environnement m'intéressent. Dans ma vie quotidienne, j'essaie de faire le maximum pour réduire mon impact sur la vénérable mère Nature mais je suis souvent limitée dans mes actes car il ne faut pas oublier que nous faisons partie d'un système et qu'agir en électron libre, s'affranchissant des règles et codes sociaux est compliqué. Alors en attendant, je lis, me renseigne sur tous ces sujets qui me préoccupent et les écrits de Fabrice Nicolino sont une source d'informations significative.
Si j'avais déjà des connaissances sur les pesticides avant de lire un des ses livres dont c'était le thème, je suis entrée dans celui-ci en novice. Jusqu'à la lecture de ce livre, je n'avais que vaguement entendu parler des biocarburants comme solution à tous nos maux mais je n'avais jamais pris le temps de réfléchir à la question. J'ai comme l'impression que ce sujet était incontournable il y a une dizaine d'années (date à laquelle a été publié ce livre) alors qu'il est aujourd'hui absent de tout débat public. Est-ce que la sauce n'a pas pris ? Ou est-ce que ces biocarburants sont venus, à notre insu, s'additionner au pétrole contenu dans les pompes à essence desquelles nous prélevons ce qui nous fait avancer tous les jours ? En cette fin 2017, je ne sais pas où nous en sommes. J'ai donc parfois eu l'impression d'être déconnectée de la réalité et je me suis sentie un peu perdue car je n'avais pas d'échanges actuels en tête auxquels me raccrocher. Je pense que j'aurais davantage savouré son argumentaire il y a quelques années, en plein débat public. Néanmoins, cette lecture n'est pas perdue puisque l'auteur consacre plusieurs chapitres à la genèse de certains faits qui continuent de nous concerner : la mécanisation rapide de l'agriculture au sortir de la guerre génératrice de surplus et gourmande en produits phytosanitaires, le développement des véhicules et leur place dans notre façon de concevoir la société, l'apparition de nouveaux termes définissant les relations entre les différents pays du monde ("développés" et "sous-développés") mais aussi et toujours un point sur les bouleversements climatiques et l'éradication des fragiles écosystèmes. Outre le fait qu'il soit intéressant pour notre culture, ce détour par l'histoire replace dans son contexte le thème des biocarburants.
Car Fabrice Nicolino ne se contente pas de tirer à boulets rouges sur ses adversaires, il prend le temps d'analyser leurs arguments et de les démonter petit à petit, de façon extrêmement précise, cohérente et documentée. Je suis toujours impressionnée par la qualité de ses écrits qui sont à la fois concis et percutants tant ce qu'il avance est intelligent et pertinent. Il a toujours ce souci de vérifier le moindre élément apporté et prend le soin de citer ses sources de façon très rigoureuse. Chacune de ses productions incarne ce qui devrait être à mon sens le travail d'un journaliste : aller plus loin que le grain que l'on nous donne à moudre en allant à la pêche aux informations et en confrontant les points de vue. Par ailleurs, le ton est ironique, moqueur, ce qui rajoute du sel à son argumentation. En le lisant, j'ai parfois eu l'impression d'entendre la voix off du journaliste de Cash Investigation qui tourne en ridicule les personnes mises au banc d'accusation. On se croirait dans une enquête policière, à tel point qu'on ne peut plus lâcher le livre une fois qu'on l'a commencé et une fois terminé, on a juste envie de partir à la recherche d'un buisson derrière lequel se cacher pour vomir.
Que ce soit pour ce livre ou pour un autre, je ne peux que vous encourager à vous précipiter dans n'importe quelle bonne librairie pour vous procurer du Fabrice Nicolino. Il apporte un éclairage alternatif et surtout très documenté à la soupe qu'on nous sert quotidiennement. Or, il est urgent de se documenter sur ces sujets-là.
D'un coup d’œil, les plus, les moins.
+ La richesse des informations apportées par l'auteur qui aborde non seulement le thème des biocarburants mais également toutes les autres problématiques qui lui sont liées (la place de la voiture, l'agriculture moderne, etc).
+ La qualité de l'argumentation qui se veut précise, documentée et pertinente.
+ Le ton ironique sur lequel a été rédigé l'essai qui nous donne l'impression de voir se dérouler devant nos yeux un reportage télévisé.
- L'inconvénient de lire un livre publié il y a une dizaine d'années: où en est-on aujourd'hui ?
Dernières infos.
La faim, la bagnole et nous a été publié en 2007 et compte 175 pages. Fabrice Nicolino est également l'auteur de deux livres publiés tout récemment: Ce qui compte vraiment et Lettre à une petiote sur l'abominable histoire de la bouffe industrielle.
Ma note.
Challenges.
Ce livre me permet d'avancer dans ce challenge :
* 100 romans à lire en 2017 - 51/100
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