Ben s'agite derrière son comptoir, dans ce café de Cap Cod (côte Est des Etats-Unis), éclairé ce soir-là par le coucher du soleil typique de la fin Septembre, cette lumière franche qui annonce le début de l'automne, froid et rugueux. Les gestes de Ben sont empreints d'une certaine nervosité, comme s'il s'imprégnait des états d'âme de sa cliente fidèle, Louise, accoudée au bar, dans sa robe rouge qui la sublime. Elle attend Norman, son amant, qui doit aujourd'hui quitter sa femme pour la rejoindre, elle, son amour illégitime. Lorsque la clochette retentit, ce n'est pas Norman qui pousse la porte du café mais Stephen, le vieil amour de Louise qui l'a quittée quelques années auparavant pour une amie du couple. Aujourd'hui célibataire, il espérait bien tomber sur cette ancienne conquête dont il est toujours amoureux. Voilà une soirée étrange pour Louise, qui se trouve désormais partagée entre deux hommes. Les souvenirs se bousculent, les sentiments s'agitent, comme Ben, derrière son comptoir.
Mon avis.
L'arrière-saison fut l'objet d'une relecture. Alors que l'automne montre le bout de son nez, j'avais envie de ressortir ce livre des étagères de ma bibliothèque. Au commencement de l'histoire de Louise et de ses trois mâles, il y a ce tableau d'Edward Hopper, Nighthawks (1942), souvent traduit par Les Noctambules ou Rôdeurs de Nuit. Ce peintre américain, très célèbre pour ses tableaux qui pointent la solitude de l'homme moderne, est très certainement mon peintre préféré. Je suis à chaque fois bouleversée par les décors qu'il propose et les âmes humaines qui les habitent. Les sentiments qui se dégagent de ses toiles sont si justes, si profonds, si émouvants... Alors comment résister à cette proposition de Philippe Besson de raconter les tourments des protagonistes de ce tableau qui sert de couverture au livre ?
Si vous voulez de l'action, je vous arrête tout de suite, car ce livre est plutôt du genre contemplatif. L'auteur respecte d'une main de maître le rythme qui se dégage de ce tableau, à savoir cette lenteur de la pensée un Dimanche soir, dans un café désert, alors que la nuit fait doucement son apparition. L'action est minime, les dialogues rares et succincts, chaque intervention étant fouillée par le narrateur omniscient. Chaque personnage est ainsi passé sous le microscope des sentiments afin de détecter la maladie des regrets mais aussi les espoirs qui naissent dans chaque prise de décision. Malgré la simplicité du décor et de la scène, l'ambiance est pesante, chacun rumine et sait que cette soirée aura un impact déterminant sur leurs cœurs solitaires. Ce sont la mélancolie et la nostalgie qui dominent le tableau, mais aussi la lecture. Un accord divin, délicat et sensible, entre les pensées des protagonistes, ce café ancien qui appartient à la vieille Phillies, la fin de l'été, le coup de pinceau de Hopper et la plume de Besson. Cependant un risque demeure avec ce genre de narration, celui d'ennuyer le lecteur. Pour ma part, ce ne fut pas le cas car le projet de donner vie à un monument de la peinture me séduit beaucoup. Pour autant, j'ai trouvé certains passages assez longs et je me suis parfois sentie frustrée lorsque le narrateur prend le soin de décrire chaque intervention des personnages. Cela contrariait mon envie d'en savoir plus, de rendre cette intrigue un peu plus dynamique. La longueur du livre (un peu moins de 200 pages) est adaptée. Plus de longueur aurait vraiment lassé le lecteur.
Voilà pour la forme. Pour ce qui est du fond, le message final proposé par Philippe Besson est intéressant. Si on récapitule, Louise souhaite avec ardeur que son amant quitte enfin la femme qu'il trompe depuis des mois pour qu'ils puissent enfin avoir une vraie relation de couple, stable et légitime. Quelques années auparavant, ce fut elle la femme que Stephen quittait pour aller convoyer en justes noces avec une autre femme. Les réflexions de Louise prennent alors une autre tournure, et pourraient être celles de ce quatrième personnage qu'est la femme que l'on abandonne parce qu'elle ne fait plus l'affaire et dont on parle peu dans ces quelques pages. Et comme les choses n'arrivent jamais par hasard, ces constations interviennent ce soir-là, alors que Stephen fait sa réapparition, rappelant à Louise des souvenirs douloureux. De même, Stephen est aujourd'hui Norman, l'homme pivot qui a le pouvoir de faire le malheur de l'une et le bonheur de l'autre, bien présent dans l'esprit de Louise mais peu décrit dans le récit. Au fur et à mesure des chapitres, se met donc en place un jeu de miroir entre les quatre protagonistes, entre Louise et la femme de Norman et entre Stephen et Norman. Le récit nous invite donc à fouiller les apparences, à dresser un portrait exhaustif des personnages mais aussi à mettre en relation les divers sentiments qui les animent. C'est en cela que l'intrigue est plus complexe que l'on pourrait le croire à première vue.
En somme, un petit livre que je vous conseille pour les soirées automnales à venir. Il se lit vite, s'emporte facilement et vous promet de passer un beau moment en compagnie de ces personnages travaillés avec finesse et délicatesse.
D'un coup d’œil, les plus, les moins.
+ Le projet de l'auteur : donner vie au tableau Nighthawks d'Edward Hopper.
+ L'intrigue, en complète adéquation avec le ton du tableau.
+ Des personnages travaillés, dont les ressentis sont décrits avec une précision chirurgicale.
+ La complexité des relations entre les personnages, malgré l'apparente simplicité de la scène.
- Quelques longueurs, surtout en fin de livre, quand on se lasse un peu des interruptions de dialogue pour décortiquer les pensées des protagonistes.
Dernières infos.
L'arrière-saison a été publié en 2002 et compte 191 pages.
Ma note.
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