Nous sommes en Janvier 1993, Jean-Claude Romand tue froidement sa femme, ses deux enfants puis ses parents. Il tente ensuite de mettre le feu à sa maison, dans laquelle reposaient toujours les corps de sa famille, et avale plusieurs médicaments pour en finir à son tour. Seulement, les agents municipaux venus ramasser les ordures remarquent que la maison est en train de prendre feu et appellent les pompiers qui réussiront à sauver l'auteur des divers crimes. Ce dernier n'échappe pas à la prison. Ces faits sont le dénouement dramatique de 18 ans de mensonges pendant lesquels Jean-Claude Romand a fait croire à son entourage qu'il était médecin à l'Organisation Mondiale de la Santé, alors qu'il parcourait les aires d'autoroute et les forêts pendant ses journées de travail imaginées, tout en abusant de la confiance de ses proches pour les extorquer. Des mensonges qui avaient pris une telle ampleur que la seule issue possible était la mort.
Mon avis.
C'est une amie qui m'a mise en présence de ce livre et je l'en remercie vivement car j'ai apprécié la découverte, à la fois de l'histoire et de l'auteur. A la lecture du résumé, on peut facilement imaginer qu'on a affaire à une intrigue bien ficelée, bien construite et dont l'issue aurait mal tournée. Malheureusement, Emmanuel Carrère n'est pas l'auteur d'une fiction mais retrace ici un fait divers qui a défrayé la chronique à l'époque. Son projet est de rendre compte de ce drame tout en essayant d'imaginer les pensées de ce père de famille, capable de la pire des horreurs. Ainsi, la lecture est difficile à chroniquer car évidemment qu'on ne peut pas entrer en empathie avec le protagoniste de cette histoire macabre. Cependant, il y a deux choses à distinguer : les faits (ce qu'il s'est passé) du récit (comment l'auteur s'y est pris pour relater ces mêmes faits). C'est sur ce second point que vont porter mes ressentis.
Comme il l'écrit lui-même à plusieurs reprises, l'auteur tient une place particulière dans ce genre d'exercice. Emmanuel Carrère est entré en relation avec son personnage principal grâce aux courriers et au procès auquel il a assisté. Il lui a fallu sept ans pour réussir à coucher sur le papier ses impressions mais aussi pour parvenir à se situer par rapport à son désir d'écrire sur cette histoire. Cela peut en effet paraître un peu macabre, surtout que son intérêt pour Jean-Claude Romand contribue à l'inscrire dans les mémoires et le conforte dans son narcissisme. Il a donc abordé le sujet avec beaucoup de pincettes et il a su mettre de la distance entre son objet d'étude et lui. Il joue en quelque sorte le rôle du chirurgien qui autopsie son patient afin de trouver quels sont les dysfonctionnements qui ont causé sa mort. Son point de vue tend à l'objectivité, même si on a comme l'impression qu'il finit par ressentir un certain attachement à Jean-Claude Romand, le rendant parfois victime au lieu de bourreau. Il faut dire qu'il a été victime de ses propres affabulations et on referme le livre sans véritablement savoir ce qui a pu déclencher en lui le tout premier mensonge, celui qui a enclenché la tombée des dominos. Lui-même ne le sait pas. J'ai trouvé que cette dimension d'analyse n'a pas été suffisamment exploitée. Finalement et bien que chaque élément soit replacé dans son contexte, on reste davantage sur du factuel, à savoir le déroulé des faits dans le temps que sur une analyse fine du caractère du meurtrier. C'est ce qui m'a manqué pour avoir un coup de cœur.
La plume de l'auteur est en revanche plus efficace quant il s'agit de romancer ou de thrilleriser l'intriguer. Même si on sent bien son point de vue qui apparaît souvent derrière le "je", on se croirait dans de la fiction tellement le rythme est prenant et l'écriture fluide, empreinte d'un lexique formel sans tomber dans le jargonneux. Il a fait en sorte qu'on se retrouve face à de vrais personnages, avec de vrais descriptions et mus par de vrais tourments, ce qui les rend attachants. Si cette affaire est si connue, c'est d'ailleurs parce qu'elle va chercher des choses bien cachées en nous. Bien qu'on sache déjà la fin avant de commencer le livre, on sent quand même une tension, un suspense qui nous conduisent à tourner les pages. Nous aussi, nous avons le même projet que l'auteur : nous avons envie de comprendre. J'ai été séduite par cette deuxième dimension du roman qui est celle du passage à l'écrit et à la narration des événements.
Si cette affaire vous interpelle, je vous conseille d'étancher votre curiosité avec ce livre, qui risque de ne pas vous combler sur le plan de l'analyse mais qui est bien écrit et construit !
D'un coup d’œil, les plus, les moins.
+ Le projet de l'auteur : partir d'un fait divers dramatique pour essayer de l'imaginer, de le comprendre et de le décrire.
+ La sincérité de l'auteur qui prend le soin d'expliquer la genèse du projet.
+ La description des faits réels nous entraîne sur le terrain de la fiction, avec de véritables péripéties et de véritables personnages.
- Manque d'analyse sur le personnage, la situation.
Dernières infos.
L'adversaire a été publié en 2000 et compte 220 pages.
Si vous souhaitez en savoir plus sur cette affaire, voici quelques références :
* L'adversaire est aussi un film, réalisé par Nicole Garcia et sorti en 2002 avec Daniel Auteuil, Géraldine Pailhas, Emmanuelle Devos et François Cluzet.
* Un second film, L'emploi du temps, est inspiré de l'histoire de Jean-Claude Romand et est sorti en 2001.
* Un épisode de Faites entrer l'accusé consacré à Jean-Claude Romand : https://www.youtube.com/watch?v=DN7IGyNmp4I
* Un épisode d'Affaires Sensibles sur France Inter - Six jours avec Jean-Claude Romand : https://www.franceinter.fr/emissions/affaires-sensibles/affaires-sensibles-18-septembre-2014
Ma note
Ah mais j'aime tellement les faits divers... Plaisir coupable! Je note ce titre, qui va très vraisemblablement me plaire!
RépondreSupprimerTu vas être comblée alors ! La plume de l'auteur est agréable et on ne peut que rester bouche bée devant cette histoire abracadabrantesque...
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