dimanche 13 mars 2022

Le parfum des cendres - Marie Mangez

En résumé.

Dans le cadre de sa thèse, Alice, jeune femme pétillante, doit suivre sur le terrain des thanatopracteurs, des personnes dont le métier est de préparer les morts avant leur enterrement. Pendant plusieurs semaines, elle va donc accompagner Sylvain Bragonard dans ses interventions à domicile ou au funérarium. Assez rapidement, Alice s'étonne des pratiques de Sylvain. Jeune homme taiseux, voire même taciturne, ce dernier semble prendre vie au contact de ses défunts dont il parvient à retracer la vie à partir des odeurs qui se dégagent de leurs corps immobiles. Curieuse de cette manière de fonctionner, l'étudiante souhaite aussi percer la carapace de cet homme réservé. Poussé par la gouaille d'Alice, Sylvain va peu à peu redonner des couleurs à sa vie grisée. Il parviendra progressivement à mettre des mots sur la perte de Ju', il y a des années de cela, exprimer son désarroi suite à cet accident qui marqua la fin de sa vie de vivant, et le début de sa vie de mort-vivant.

Mon avis.

Publié à l'occasion de la rentrée littéraire 2021, ce livre m'a tapé dans l'œil, non seulement pour sa couverture que je trouve magnifique, mais aussi pour sa thématique. Depuis Le parfum de Patrick SÜSKIND, il est en effet assez rare que le thème de l'odorat soit développé en littérature. Néanmoins, si Le parfum des cendres est plein de tendresse et nous offre de jolis moments, ce ne fut malheureusement pas le coup de cœur attendu.

L'atout majeur de ce premier roman de Marie MANGEZ est l'originalité de sa trame narrative. Toute l'intrigue est basée sur nos sens, et sur ce métier de thanatopracteur dont on entend rarement parler. Si l'univers de la mort est plutôt sombre, l'auteur s'attache à rajouter quelques touches de couleurs avec l'exploration de ces odeurs si particulières aux défunts. Ainsi la description des différentes fragrances se fait avec beaucoup de poésie et de douceur. Après l'odorat, l'auteur explore également le toucher, toujours au travers du personnage de Sylvain dont les gestes sont très respectueux des corps qu'il manipule. Il est aussi question du goût, acide lorsqu'il s'enfile des verres de vinaigre, rafraichissant lorsqu'il avale frénétiquement des bonbons mentholés, et puissant lorsqu'il se lance dans la confection de confiture de piments. Au travers de ces descriptions olfactives, tactiles et gustatives, c'est finalement le personnage de Sylvain que l'on découvre, à la fois doux et sensible, comme ses gestes, humain et curieux comme toutes ces fragrances qui lui permettent d'avoir accès à son environnement, mais aussi révolté, en colère, ayant besoin de sensations fortes pour le ramener à la vie, avec pour témoin cette envie d'ingérer des aliments aux goûts puissants. D'un autre côté, Alice est l'insouciance, le bruit, et c'est l'ouïe qui est particulièrement développée pour elle, avec toutes ces musiques qu'elle écoute. Ainsi, le contraste entre ces deux êtres est saisissant, d'un côté le silence, la subtilité et de l'autre, l'explosion, la cacophonie. 

J'ai bien aimé ces deux personnages, chacun pour des raisons différentes. J'ai quand même davantage apprécié Sylvain car je l'ai trouvé complexe et j'avais bien évidemment envie de découvrir son secret, ce qui fait qu'il est empêtré dans cette mélancolie qui ne le quitte pas. Lorsqu'on découvre son passé vers la fin du livre, c'est notre perception globale de ce personnage qui bascule. Même si j'ai également apprécié le personnage d'Alice pour son côté fonceuse, je l'ai trouvé un peu moins crédible car plus caricaturale. Déjà, j'aurais aimé que son sujet de thèse soit un peu plus exploré. J'ai l'impression que l'auteur ne savait pas vraiment comment faire en sorte que ces deux personnages se rencontrent et qu'elle s'est servie de ce sujet de la thèse pour amener la présence d'Alice aux côtés de Sylvain. Mais finalement, on ne sait pas vraiment ce qu'Alice vient chercher en observant les pratiques de tous ces thanatopracteurs. C'est un détail me direz-vous, et je suis d'accord, mais c'est le genre de détails pour moi qui montre qu'un auteur est allé jusqu'au bout de sa démarche et que l'intrigue a été pensée dans sa globalité. De même, le fait qu'Alice ait une mère sourde est un peu too much à mon sens. Pourquoi ne pas s'en tenir tout simplement au fait qu'Alice est passionnée par la musique, sans pour autant ajouter que c'est parce qu'elle a vécu dans le silence, parce que sa mère n'oralisait pas ? Ces petits détails qui font perdre une certaine crédibilité concernent également Sylvain dont le nom de famille n'est autre que Bragonard qui n'est pas sans rappeler la célèbre maison de parfums Fragonard. Ou bien son accident qui a eu lieu à Grasse, ville emblématique dans le monde de la parfumerie. Tout cela souligne l'importance de l'odorat chez cet homme mais ces données sont tellement attendues qu'elles en deviennent peu plausibles. Enfin, le personnage de Ju qui plane sur le roman comme une ombre au-dessus de Sylvain m'a exaspéré. Peut-être était-ce une volonté de la part de l'auteur, mais j'ai trouvé ce personnage en complet décalage avec l'atmosphère ouatée du roman. Ju est grossière, indélicate, et bien que décédée, elle vient perturber l'équilibre que les deux protagonistes s'attachent à construire. Je trouve qu'elle est en décalage complet avec Sylvain, tellement en décalage qu'on a dû mal à comprendre comment ces deux êtres ont pu vivre une relation si fusionnelle. Elle a au moins le mérite de faire planer le mystère autour du personnage de Sylvain et d'incarner sa face sombre, en contradiction avec l'homme réservé qu'il est par ailleurs.

Voilà un roman à vivre comme une balade au milieu de nos cinq sens. Pour un premier roman, Marie MANGEZ campe un décor original, dans lequel se baladent deux âmes, une complètement effondrée et esseulée, l'autre débordant de vie mais attirée par la mort. A eux deux, ils vont tenter de se comprendre et de s'apprivoiser, même si le chemin est semé d'embûches et peut se terminer par une impasse. Un premier roman à découvrir si vous avez envie d'une lecture contemplative et humaine.
Dernières infos. 

Le parfum des cendres a été publié en 2021 et compte 237 pages.

Ma note.
Challenges.

Défi lecture 2022 : Consigne 57 - Livre dans lequel il est fait mention d'un chanteur réel (Claude François p.79) - 9/100

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