Blanche, née d'une mère rwandaise et d'un père belge, fuit Butare, petite ville du Rwanda limitrophe du Burundi, en 1994, alors que le tristement célèbre génocide des Tutsi débute. Elle rejoint Bordeaux et y démarre une nouvelle vie : un nouveau travail, un mari puis un fils, Stokely. Depuis cette date fatidique, et à plusieurs reprises, elle revient sur ces terres qui l'ont vu naître, cotoyer les fleurs majestueuses des jaracandas et renouer avec le passé. Elle se confronte à sa mère, qui a vu le génocide de prés mais qui y a réchappé, par miracle, et à son frère Bosco, guerrier né qui a participé à la lutte contre les Hutu puis aux autres combats qui ont vu le jour par la suite au Zaïre. Reconstruire une histoire à trois, quand tout a volé en éclat, sa confiance en l'autre, son amour de l'autre, son identité, sa légitimité à occuper ces terres détruites jusqu'à la moëlle. Un travail de longue haleine où le petit Stokely, bien que né à des milliers de kilomètres de là, pourrait bien avoir un rôle à jouer...
Mon avis.
Après le fabuleux Avant que j'oublie d'Anne PAULY, voici une deuxième lecture issue de la rentrée littéraire 2019, tout aussi riche et puissante et que j'ai dévorée en quelques jours, saisie par l'émotion.
Du génocide rwandais, je ne connaissais presque rien. Bien sûr, j'en avais entendu parlé, plusieurs fois, comme tout le monde je pense. Mais de là à en connaître les tenants et les aboutissants... J'ai donc tourné les premières pages de ce livre sans aucun a priori, avec toute ma naïveté et prête à me laisser surprendre. On entre dans ce livre au même rythme que Blanche nous dévoile son histoire, c'est-à-dire avec une certaine lenteur portée par toute la pudeur nécessaire dans ces circonstances. Page après page, ce ne sont pas ces trois mois de génocide que nous découvrons, mais une histoire familiale, de la grand-mère de Blanche à son fils, ces années de colonisation belge, et l'impact que la vie à l'européenne a eu sur ceux qui n'avaient toujours connu que les vallées fertiles de ce pays enclavé dans l'Afrique des grands lacs. Pour retracer cette histoire familiale complexe, les voix se succèdent, celle de Blanche, bien sûr, rivée sur le visage assombrie de sa mère, puis celle d'Immaculata, la mère donc, entièrement préoccupée par Bosco, ce fils et ce frère abreuvé par toutes les horreurs de la guerre, et enfin celle de Stokely qui porte en lui l'espoir de la nouvelle génération. Trois générations donc qui portent un regard différent sur les faits, et toujours comme point de repère la plume délicate et poétique de l'auteur. Les mots sont à ce point précis qu'ils me donnent à penser que ce récit contient peut-être une part autobiographique puisque Beata UMUBYEYI MAIRESSE a elle-même fui le génocide rwandais en 1994.
Ces regards multiples portent en eux toute la richesse de cet écrit de haute voltige. Les problématiques soulevées sont nombreuses et tout aussi pertinentes les unes que les autres. Déjà, la question de l'identité, lorsqu'on est le fruit d'un métissage. A celà, s'ajoute le rôle de l'Histoire vécue et partagée. Si l'on n'a pas vécu de près le génocide, peut-on quand même se considérer comme rwandais ? Ce sont à ces questions que Blanche se heurte à chaque fois qu'elle rend visite aux siens, elle qui est partie, elle qui s'est absentée pendant de longues années alors que son frère et sa mère sont restés, eux, à vivre ce moment historique si tragique. A côté de cela, il y a tout le panel de sentiments que l'on éprouve et avec lesquels il faut avancer : la culpabilité de ne pas avoir été là, la légitimité de se placer dans un pays ou dans l'autre, la peur pour les siens, la tristesse d'être séparé, la détresse devant ce passé si complexe. Par ailleurs, se pose également la question du rôle du père. Blanche et Bosco n'ont pas le même père, un qui a été choisi par Immaculata par opportunisme et par rancoeur, l'autre par amour et passion. Quoiqu'il en soit, deux pères absents et pourtant toujours présents dans le regard que porte la mère sur ses enfants. Et puis bien sûr, comment avancer dans la vie, en portant sur son dos cet héritage complexe, quoi transmettre à Stokely de ses origines, de la langue maternelle. Toutes ses questions sont abordées de façon subtile, sans qu'aucune réponse ne soit donnée, d'ailleurs il n'y en a pas, à part le temps, qui, seul, peut panser les blessures.
Un livre qui n'est absolument pas larmoyant, mais qui est fort, précis et pertinent. Une histoire humaine, de transmission entre diverses générations qui ont chacune leur fardeau à porter. Vraiment, je conseille ce livre à tous !
Dernières infos.
Tous tes enfants dispersés a été publié en 2019 aux éditions Autrement et compte 256 pages. Si vous souhaitez en savoir plus sur le génocide du Rwanda, vous trouverez pléthore d'informations sur la toile. Toutefois, je vous conseille particulièrement ces deux épisodes très bien faits du Dessous des cartes, un consacré au génocide, ici et l'autre à ce qu'est le Rwanda aujourd'hui, ici, ainsi que cet épisode d'Affaires sensibles sur France Inter, consacré lui aussi au génocide, ici.
Ma note.