dimanche 3 décembre 2017

Dans la peau d'un chef de gang - Sudhir Venkatesh

En résumé.

Nous sommes en 1989 et Sudhir entame une première année de sociologie à l'université de Chicago. Particulièrement intéressé par la pauvreté qui sévit dans les ghettos de la ville et convaincu que les statistiques ne révèlent rien de la vie de ces gens-là, il décide d'aller enquêter sur le terrain, d'abord à l'aide d'un questionnaire sur les conditions de vie. Cet outil de sociologue, difficile à exploiter dans de tels quartiers, lui permet tout de même d'entrer en contact avec les habitants et surtout avec le gang qui contrôle la cité. Son chef, J.T, accepte de prendre le jeune chercheur sous son aile et de lui montrer comment on gère l'économie souterraine fondée sur les revenus de la drogue et de la prostitution - une immersion qui se veut totale et qui va durer six ans dans cette micro-société des Robert Taylor Homes, grand ensemble d'immeubles à la périphérie de Chicago à la mauvaise réputation.

Mon avis.

Ce livre fut l'objet d'une relecture pour ma lettre V du challenge ABC. Tout de même, j'étais contente de me replonger dans cette enquête passionnante et tout à fait accessible pour les néophytes en sociologie. Sudhir Venkatesh a écrit une thèse à partir de tout le matériau qu'il a acquis pendant ces six années. Ici, il s'agit juste de la narration de son immersion dans la vie des habitants des Robert Taylor Homes. On se croirait donc dans un roman un peu particulier de par les thèmes abordés mais nous sommes tenus en haleine et nous finissons même par nous attacher aux personnages de l'histoire qui n'a rien d'une fiction. Le livre se lit donc très rapidement et on ne s'ennuie pas une seule seconde devant l'originalité d'une telle enquête. De plus en plus, les sociologues vont sur le terrain à la rencontre des gens qu'ils étudient. Ce n'était pas le cas il y a encore quelques années où on pensait que seuls les matériaux objectifs (statistiques) pouvaient nous aider à comprendre la pauvreté et à mettre en place les politiques publiques adéquates pour résoudre l'équation. D'ailleurs, Sudhir évoque son travail de chercheur et dit bien qu'il se place à contre-courant de la doctrine dominante, peut-être poussée par la peur d'entrer en contact avec des gangs dealers de drogue. D'ailleurs, tout au long du livre, l'auteur s'interrogera sur sa place et sur son rôle. Bien sûr, il lie des liens particuliers avec les gens qu'il rencontre mais surtout avec J.T qui devient presque un ami. Alors que faire quand il sait que ses comparses vont commettre plusieurs meurtres dans une guerre des gangs ? Les dénoncer à la police ? Que faire quand on est témoins du trafic de drogue au quotidien ? Alors que ses collègues tentent de lui faire réaliser la dangerosité de sa position, lui tient à continuer ce travail jusqu'à la destruction de la cité, l'amenant au fil des années à établir une cartographie des liens entre tous les acteurs de cette micro-société.

Car au delà de la réflexion menée sur le travail du sociologue, on en apprend beaucoup sur la vie dans ces ghettos et sur le rôle qu'ont les gangs dans la sécurisation de ce lieu où plus personne ne met les pieds, ni la police ni les ambulances. On voit comment une économie d'un autre type se développe. Alors que la plupart des habitants est au chômage, chacun essaie d'arrondir les fins de mois en vendant de la drogue, en se prostituant, en s'entraidant (garde des enfants, repas, etc.). Le gang est donc là pour structurer cette économie mais aussi pour garder un œil bienveillant et sécuritaire sur tous les habitants, unis par leurs galères. Cette bienveillance est parfois naturelle, parfois corrompue. Mrs Bailey, une représentante des habitants a également ce rôle, une protectrice de la condition des femmes mais qui empoche très souvent des pots-de-vin lorsqu'on souhaite la mettre de son côté. Toutes ces interactions sont très intéressantes à observer car on voit bien à quel point elles peuvent être compliquées et entachées par la drogue ou par la corruption. Une morale d'un autre genre se met en place, avec d'autres types de valeurs.

Je suis fervente de ce partage d'informations avec le grand public. Ce sont des sujets qui éveillent ma curiosité et je suis heureuse lorsque je trouve en librairie ce genre de livres tout à fait clairs et passionnants. Si ces thèmes vous intéressent également, je ne peux que vous encourager à vous mettre à votre tour dans la peau d'un chef de gang.

D'un coup d’œil, les plus, les moins.

+ L'originalité du thème du livre.
+ La réflexion qui est menée sur la place du sociologue face à ce genre de situations.
+ La découverte des conditions de vie au sein des Robert Taylor Homes et le rôle des différents acteurs (gang, représentant des habitants, police, etc).

- J'aurais aimé qu'il y a un dernier chapitre qui résume toutes les conclusions auxquelles est arrivé Sudhir pendant ses six années au côté de J.T.

Dernières infos.

Dans la peau d'un chef de gang a été publié en 2014 et compte 316 pages.

Ma note.
Challenges.

Cette lecture me permet d'avancer dans ces challenges: 
ABC 2017 - Lettre V (21/26)

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